Depuis l'arrivée de Corinne Diacre à la tête de l'équipe de France, l'un des aspects sur lesquels a insisté la nouvelle sélectionneuse, c'est celui de pouvoir compter sur des joueuses qui évoluent régulièrement avec leurs clubs. Une exigence qui peut sembler logique mais qui a rapidement amené Corinne Diacre à sélectionner des joueuses en dehors du « Big 4 » (OL, PSG, Montpellier, Paris FC).

 

Cette démarche d'ouverture s'est accompagnée d'une prise de position de plus en plus affirmée, comme elle pouvait le dire au mois de novembre, mettant en avant des clubs où « il n'y a pas beaucoup de françaises [sur le terrain], beaucoup d'étrangères qui jouent. Je suis obligée de prendre des joueuses qui jouent un peu moins dans leurs clubs. »

 

Un message d'alerte ou un avertissement ?

 

Un constat, qui visent les clubs de haut de tableau (Lyon, PSG, Montpellier) où effectivement les internationales tricolores ne sont pas nécessairement titulaires, ajouté à l’envie de Corinne Diacre de laisser la « porte ouverte » et de faire des tests pour débuter la préparation de la prochaine Coupe du Monde. Lorsque nous avons abordé le sujet début décembre avec Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF, elle évoquait des « joueuses internationales [qui] ne jouent pas toutes » notamment « dans les meilleurs clubs, où les conditions sont les plus reliées à la performance ». Mi-décembre, c'est le président Noël Le Graët, lors d'une assemblée fédérale de la FFF, qui parlait de « faire des propositions pour que les internationales françaises jouent dans leurs clubs. Les étrangères, oui, mais pas trop... il faut aider l'équipe de France ».

Un message clair qui a eu le mérite de susciter un véritable débat, même si la pente est toujours glissante entre demander plus de temps de jeu pour les joueuses françaises et s'inquiéter d'une présence ''trop importante'' de joueuses étrangères. Cette semaine lorsque nous avons évoqué le sujet avec Corinne Diacre en conférence de presse, le propos se voulait plus conciliant, estimant que « le discours est passé auprès des clubs »,l'important étant que « plus de joueuses françaises joueront en championnat et mieux ce sera pour l'équipe de France », mais « les compositions [d'équipe] appartiennent aux entraîneurs. »

 

Un prêt pour gagner du temps de jeu ?

 

Une détente qui intervient dans un mois de janvier où plusieurs joueuses tricolores ont dû changer d'air pour trouver du temps de jeu. Claire Lavogez, Kenza Dali ou encore Laura Georges transférée au Bayern, des joueuses capées en Bleu, mais qui face aux blessures et à la concurrence doivent s'exiler pour revenir en grâce. Pour les joueuses de l’OL, Lavogez, Dali, ou encore Mylène Tarrieu, la possibilité de prêter une joueuse à un autre club de D1 permet de les faire jouer au plus haut niveau, plutôt qu'avec l'équipe réserve en DH.

Ce système de prêt offre une soupape mais ne résout pas complètement le problème. Du côté des joueuses, le discours de Corinne Diacre a eu un premier effet. Faut-il forcément aller dans un club de haut de tableau pour intégrer les Bleues ? Marseille, Guingamp, Bordeaux, le LOSC ou Fleury, pour Diacre tous ces clubs peuvent receler des internationales tricolores en puissance.

Mettre en avant des joueuses issues de ces clubs est aussi une manière aussi de contrer la puissante attractivité des clubs comme l'OL et Paris, dont le duel en fin de saison dernière (Coupe de France, Champions League) a captivé au-delà de nos frontières, notamment parce que douze pays et trois continents étaient représentés sur le terrain. Deux équipes considérées en 2017 comme les deux meilleurs clubs du monde, et qui comptent à l'heure actuelle les deux plus grosses masses salariales au monde dans le football féminin, devant le VfL Wolfsburg. Sur le plan national, Lyon et le PSG représenteraient à eux deux entre 50 et 60 % de la masse salariale totale de la D1, selon une étude publiée fin 2017. Des attraits sportif et financier qui ont le don d'attirer les meilleures joueuses françaises et internationales.

Et cette concentration d'internationales françaises et étrangères est essentielle pour les clubs qui jouent les titres, sur le plan national et européen. Une recette que l'on retrouve en Allemagne où Wolfsburg compte aujourd'hui une douzaine d'internationales étrangères, dix pour le Bayern. En Espagne, les ambitions européennes du FC Barcelone passent par un recrutent international (Duggan, Martens, Bussaglia, Fabiana...). En France, le PSG compte 12 internationales étrangères, 8 pour Montpellier et 7 pour l'OL.

 

La D1 loin de la Bundesliga

 

Loin d'être un cas isolé, le championnat français n'est pas non plus celui qui compte le plus d'internationales étrangères. Un constat fait au moment de l'Euro, avec des championnats comme la Bundesliga, la FA WSL anglaise ou la Damallsvenskan suédoise qui comptaient plus de joueuses étrangères présentes à l'Euro dans les rangs de leurs clubs respectifs. Si des joueuses comme Shanice Van de Sanden, Fanndis Fridriksdottir ou Raquel Infante ont rejoint la D1 après l'Euro, la France reste encore loin de l'Allemagne en terme de joueuses étrangères présentes dans les clubs.

D'après notre décompte, elles seraient 87 joueuses étrangères en Bundesliga contre 48 en D1. Pour les internationales, le ratio est à peu près le même avec 68 internationales étrangères dans les clubs de première division allemande contre 37 en D1. Si ces chiffres restent approximatifs à quelques unités près, il n'en montre pas moins que le problème ne vient pas de la présence de joueuses étrangères, bien moindre par exemple que dans les clubs outre-Rhin.

Pourtant, difficile de s'inquiéter pour l'équipe d’Allemagne, comme l'équipe de France a pu le constater à ses dépens en novembre dernier. L'élimination précoce de l'Allemagne lors du dernier Euro trouve, elle, ses explications d'abord dans les absences ou méforme de certaines joueuses cadres et une transition avec le départ en 2016 de joueuses qui ont tout gagné en sélection.

La différence entre la France et notre voisin germanique est peut être davantage à chercher dans le niveau de développement du football féminin, plus avancé en Allemagne, mais aussi par le plus faible écart (comparé à la France) de revenus proposés aux joueuses entre les clubs de haut et de milieu de tableau. Ces éléments contribuent à expliquer la densité plus importante de la Bundesliga. Cela permet aussi à des internationales allemandes d'émerger en dehors des rangs du Bayern et de Wolfsburg, même si, ce sont dans ces deux équipes que l'on retrouve beaucoup des cadres actuels de l'équipe d'Allemagne. Aujourd'hui, des clubs comme Essen, Fribourg ou Potsdam comptent autant de joueuses internationales allemandes que Wolfsburg.

 

Clubs et équipes nationales : Des logiques contradictoires ?

 

Si le débat se pose aujourd'hui en France, c'est en partie parce que nous vivons aussi une transition générationnelle au niveau de l'équipe de France. Un passage de témoin qui fait notamment suite aux retraites internationales de Camille Abily, Élodie Thomas et de Louisa Nécib. Un facteur parmi d'autres (blessures de longue durée, choix des sélectionneurs) qui participent aujourd'hui à écarter certaines joueuses expérimentées et à rajeunir l'équipe de France, avec aussi la nécessité de trouver de nouveaux cadres capables de tirer rapidement le groupe vers le haut. Ce sont également des postes-clés qui restent aujourd'hui à pourvoir, au milieu de terrain et en attaque.

Cette problématique se pose aussi au niveau des clubs avec des transitions qui passent par le recrutement ou le recours à des jeunes issus de la formation pour assurer une continuité dans les résultats. Avant de s'ouvrir à l'international, Lyon disposait d'une équipe construite principalement autour de joueuses françaises. Comme le rappelait Patrice Lair récemment, lors du premier titre européen de l'OL en 2011, 9 des onze titulaires lyonnaises en finale étaient françaises (6 en 2017).

Des joueuses tricolores qui avaient été recrutées par Lyon dans d'autres clubs français, à l'exception de Wendie Renard formée au club. Aujourd'hui, le club multiple champion de France recrute à l'étranger les joueuses qu'il ne peut nécessairement débaucher dans d'autres formations de l'Hexagone. Sans compter, la stratégie impulsée par Jean-Michel Aulas de faire venir des joueuses américaines. Des internationales « stars », qui apportent leurs qualités sur le terrain mais aussi une visibilité pour le club outre-atlantique.

Malgré tout, le club a enregistré ces dernières années les arrivées de Jessica Houara, Kheira Hamraoui, Claire Lavogez, Griedge Mbock... Des joueuses qui étaient déjà internationales tricolores avant de rejoindre le club du Rhône.

 

Laisser la place aux jeunes ?

 

Lorsque l'on évoque le sujet avec les coaches les plus concernés, pour eux le choix se situe plutôt entre les jeunes et les joueuses étrangères. C'est à dire dans quelle source puiser pour enrichir son effectif, jouer sur les différents tableaux et viser des trophées. Du côté du PSG, Patrice Lair pointe une « grosse différence entre les moins de 19 ans et le championnat en senior », un fossé qui explique selon lui la difficulté de s'appuyer sur des jeunes joueuses, issues de la formation du club, lorsque l'on joue les premiers rôles. Face au « devoir de résultat », recruter à l'international est une solution coûteuse financièrement mais qui peut permettre des résultats plus rapides.

Comme à l'OL, la réussite de la formation parisienne (championnes U19 2016 et 2017) se traduit par de nombreux départs en senior, de nouveaux horizons qui ont notamment permis à Ouleye Sarr (LOSC) et Hawa Cissoko (OM) de connaître leur première sélection en Bleue. Pour celles qui restent, elles sont quelques unes à s'être imposées : Grace Geyoro, Marie-Antoinette Katoto, mais d'autres partent aussi en prêt pour avoir du temps de jeu (Anissa Lahmari à Reading puis au Paris FC, Perle Morroni à Barcelone, Sana Daoudi à l'Atlético Madrid).

Du côté de Montpellier, l'arrivée d'internationales étrangères a permis de disposer de joueuses capables d'assurer le rôle de cadres dans un effectif avec de nombreuses jeunes issues de la formation héraultaise. Un choix, comme nous l'expliquait Jean-Louis Saez, fait à un moment où des joueuses françaises qui pouvaient avoir ce rôle dans le groupe ont quitté le club ou arrêté leur carrière.

Sofia Jakobsson, Linda Sembrant ou plus récemment Janice Cayman, sont autant de recrues montpelliéraines qui peuvent avoir aujourd'hui ce rôle sur le terrain, au-delà de leurs qualités footballistiques. Des ajouts essentiels pour l'équipe mais qui mécaniquement réduise le temps de jeu d'autres joueuses en devenir.

 

A la recherche de la bonne formule

 

Aujourd'hui, l'un des enjeux est de voir comment pourrait se dessiner un cercle vertueux qui permette aux meilleures jeunes de jouer dans des équipes qui leur donne du temps de jeu, leur permette de gagner en confiance, avant de s'imposer dans les meilleurs clubs qu'ils soient français ou étrangers. Une mécanique censée aboutir à une élévation du niveau général de la D1 et plus grande homogénéité, mais qui passe par un accompagnement, notamment sur le plan financier, qui permettent aux joueuses de continuer à progresser jusqu'à la maturité qui arrive plutôt vers 25-30 ans, des âges avant lesquels beaucoup de joueuses arrêtent aujourd'hui leur carrière.

Le fait que les écarts de revenus soient aujourd'hui très importants entre Lyon, le PSG et le reste de la D1 fragilise ce scénario qui repose en partie sur l'attractivité des « autres clubs », notamment pour les joueuses qui recherchent du temps jeu, et pas uniquement en prêt ! Une prise de risque qui sur le plan sportif peut parfois se révéler payante.

Outre-Rhin, c'est le pari gagnant réalisé par Lina Magull. Elle évoluait à Wolfsburg avant d'être prêtée à Fribourg en 2015. Issue de la génération 2014, championne du monde en U20 avec l'Allemagne (aux côtés de Pauline Bremer ou Sara Däbritz), elle s'engage définitivement avec Fribourg début 2017. C'est aujourd'hui l'une des meilleures joueuses de Bundesliga, au sein d'une équipe capable de battre Wolfsburg et le Bayern sur un match, et elle s'impose aujourd'hui en équipe d'Allemagne avec plusieurs de ses coéquipières de club.

Aura-t-on en France, une « Lina Magull » d’ici la Coupe du monde 2019 ? La démarche de Corinne Diacre a eu le mérite d'élargir le champ des possibles, une opportunité pour les joueuses de faire autrement et une nécessité pour la sélectionneuse tricolore dans la construction de son groupe en vue du Mondial.

Hichem Djemai