Présente au stage de l'association "Juste pour Elles" pour échanger et partager son expérience avec les jeunes gardiennes de foot, Olesya Arsenieva a pris la parole et répondu aux questions du staff et de certaines protagonistes. Les conseils d'une gardienne d'expérience, écoutés avec attention par ces futures gardiennes !

 

"Je m'appelle Olesya Arsenieva, j'ai 25 ans, je suis Franco-Russe. J'ai commencé le foot avec les garçons jusqu'aux U15. Par la suite je suis partie au PSG en U19, à 16 ans, j'étais deuxième gardienne à Juvisy, aujourd'hui c'est le Paris FC en D1 toujours. 

Après cela je suis partie en D2 pour avoir du temps de jeu, je suis passée par Yzeure, Angers, Albi, puis je suis revenue en D1 au Havre, en tant que deuxième gardienne. On est descendu donc j'ai joué en D2, et on est remontés, j'étais encore deuxième gardienne. Actuellement je suis en D2 avec Evian Thonon, vers Genève (Suisse). J'ai également fait quelques sélections en jeune avec la Russie."

 

Gardienne - Vous ne pouvez plus faire de sélection avec la France ?

Si puisque j'ai fait des sélections chez les jeunes (une joueuse peut changer de nationalité au football, une fois chez les seniors, comme ça a pu être le cas pour Damaris Egurrola, qui est passée de l'Espagne aux Pays-Bas, ndlr), et vu le contexte politique actuel avec la guerre, il n'y a plus de sélections seniors en Russie.

On devait faire l'Euro [avec la Russie], mais il y a eu la guerre un mois avant le début du tournoi, et on a été disqualifiés [par l'UEFA]... Depuis, c'est compliqué (la Russie n'a toujours pas été réintégrée, ndlr).

 

Didier Mayemba - Pourquoi avoir choisi le poste de gardienne ?

Quand je jouais avec les garçons, il y avait un tournoi où il n'y avait pas de gardien, donc on m'a mis au but et on a gagné le tournoi, car j'ai arrêté des penaltys et je me suis dit : "C'est trop cool en fait d'être gardien". Donc je suis restée dans les buts. (sourire)

 

Jordy Longui - Au sujet des sacrifices, des critiques, notamment sur les réseaux sociaux qu'on utilise beaucoup. Comment gères-tu cet aspect et quels sont les sacrifices que tu as réalisé pour être gardienne de but professionnel ?

Ça va faire six ans que je ne suis pas partie en vacances. Toutes les vacances je suis à Paris, je m'entraine. Des stages comme Jordy ont fait, avec des adultes bien sûr, de la préparation physique... Cela va faire six ans que je ne suis pas partie en vacances, car je me dis que le temps que je prends dans des vacances, je le perds pour progresser et m'améliorer.

Une carrière c'est court, vous n'allez pas jouer au foot jusqu'à 40/50 ans, donc j'essaye de mettre tous les moyens possibles de mon côté, pour performer et jouer à haut niveau, au meilleur de ma forme, et après j'aurai le temps de partir en vacances quand je ne ferais plus de foot à ce niveau-là, ou que je n'aurais plus ces objectifs-là.

Donc ça c'est en terme de sacrifices, ensuite il y a l'hygiène de vie et tout le reste derrière. Bien sur que c'est important, ce que vous mangez, comment vous dormez etc c'est très important, au-delà de faire du sport. 

Et en terme de réseaux sociaux, concernant les moqueries, c'est vrai que le foot féminin est facilement pointé du doigt, car le poste de gardien à mis beaucoup de temps à se développer dans le foot féminin. Je ne sais pas si vous avez suivi le dernier mondial, on a quand même vu que les gardiennes avaient vraiment progressé, en un ou deux ans c'est monté en flèche, il n'y a même pas photo par rapport à avant, le niveau des gardiennes actuellement. Donc je pense qu'il y aura de moins en moins de moqueries.

On voit moins de critiques, il y a des buts gags, mais chez les garçons il y en a aussi... Donc c'est vrai que c'est important de se distancier de cela, une erreur ça arrive à tout le monde, le plus important c'est comment vous allez réagir en match derrière [cette erreur], car peut-être que ça va couter un but, mais si votre équipe égalise et gagne 2-1, il faut rester forte pour ne pas encaisser d'autre but. Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs, mais il faut rester concentrée, il faut se remettre dedans, et passer à autre chose.

 

Didier Mayemba - Combien d'heures dors-tu par nuit ?

Moi j'aime bien dormir, donc je dors la journée aussi (sourire), je dors beaucoup (rires). Par nuit, je dois dormir 7/8h.

 

Didier Mayemba - Sur la gestion de sa vie personnelle à côté du foot.

C'est important, pas forcément la vie amoureuse, mais la vie familiale, tout. Pour moi quand je rentre sur un terrain de foot, ou dans un gymnase, quand j'arrive à l'entraînement, mes problèmes extra-sportifs qu'il soit amoureux ou familiaux, restent en dehors.

Quand j'arrive, que je franchi le portail de là où je m'entraine, ce n'est que du foot et personnellement le foot ça me change les idées. Si j'ai des problèmes en dehors, je vais arriver sur le terrain, et je ne vais penser qu'au foot, je vais aimer faire des spécifiques, jouer des matches, donc les problèmes je les laisse et je les récupère dehors.

C'est très important dans le monde professionnel de faire la part des choses, de ne pas arriver au foot en tirant une gueule pas possible, car on est triste en dehors. Il faut essayer d'arriver à faire abstraction, switcher dans sa tête, quand vous êtes dans le gymnase ou en mode foot. 

 

Gardienne - Avez-vous le droit d'avoir des enfants ? Car c'est difficile de reprendre après ?

Oui bien sur. Il y a une gardienne qui a fait un visio durant l'un des stages, Manon [Heil], qui a eu un enfant l'année dernière [en janvier 2022], donc oui tu peux, tu reprends après. Avec les contrats maintenant c'est possible, c'est comme dans le travail [lambda], on peut prendre le congé maternité et revenir par la suite.

 

Didier Mayemba - Dois-tu apprécier forcément ton coach gardien pour pouvoir performer ? Cela a-t-il une influence sur les performances ou pas ?

Non tu n'es pas obligée d'apprécier ton coach gardien, pour pouvoir performer, pas du tout. Par contre ce n'est pas parce que tu ne l'apprécie pas, qu'il ne faut pas écouter ce qu'il dit.

Je pars du principe que ça soit coach des gardiens, ou vous en tant que jeune gardienne, il faut prendre les conseils de tout le monde et il faut essayer, voir ce que ça donne et si ça vous convient tant mieux, sinon tant pis.

Même si vous ne l'aimez pas, il y a toujours des choses à prendre, même des gens que vous n'aimez pas, peut-être moins fort que vous, moins expérimenté, il faut toujours écouter et essayer par vous-même. Si à un moment vous vous dîtes : "Ah là je suis meilleure, je fais plus d'arrêts." vous allez le garder, même si la personne vous ne l'aimez pas. 

 

Didier Mayemba - Est-ce que les corners sont aussi ta bête noire, comme cela peut l'être pour certaines jeunes gardiennes présentes ici ?

Moi j'adore les corners (grand sourire). Je sors beaucoup...

On m'a souvent répété que je suis trop petite pour un certain niveau - car maintenant il cherche beaucoup les grandes gardiennes - mais j'essaye de leur prouver l'inverse en prenant tous dans les airs, enfin le plus possible.

Donc c'est vrai que les corners, j'aime ça, car je me dis que je peux montrer que ma taille ce n'est que des chiffres. Si je prends tout en sortie aérienne, au bout d'un moment ils ne pourront pas me dire que je suis trop petite, tu ne sors pas, tu te fais lober etc si justement je travaille sur ces aspects-là. Donc c'est vrai que les corners moi j'aime bien, car justement ça me permet de sortir.

Si je peux donner un conseil, que j'ai appliqué personnellement un peu tard, quitte à vous trouer [rater le ballon] allez-y ! Si vous avez pris la décision d'y aller, allez-y jusqu'au bout car vous ne savez pas, cela peut gêner l'adversaire derrière, alors que si vous avez pris la décision d'y aller, mais que vous hésitez, vous revenez, là c'est fini pour vous. Quitte à y aller, allez-y à fond. C'est le conseil que je peux vous donner, car je l'ai appliqué un peu tard personnellement.

 

Didier Mayemba - Comment gères-tu ta défense ? Est-ce que tu parles beaucoup ou pas à tes coéquipières ?

Je parle beaucoup, et j'ai une voix qui porte comme vous pouvez le constater. J'essaye d'être précise, car si vous parlez trop, au bout d'un moment les défenseures décrochent, elles ne vont pas écouter ce que vous dites. Si vous dîtes un truc précis, simple, elles vont écouter et vont le faire, mais par contre il faut être un minimum autoritaire, ce n'est pas : "S'il te plait replace toi", c'est "Replace-toi", fin.

Il faut doser le volume de la voix. Si c'est une situation urgente, votre défenseure à la balle dans les pieds et l'adversaire arrive, il faut la presser un peu, crier un peu plus fort [pour qu'elle écarte le ballon et le danger], dans le cas inverse, il faut dégager de la sérénité, si elle est seule. Il ne faut pas transmettre une mauvaise information à votre coéquipière.

 

Jordy Longui - À ton âge il n'y avait pas forcément d'entrainement de gardienne de but et aujourd'hui on va aller de plus en plus vite. On fait le stage pour leur faire plaisir et leur montrer qu'elles peuvent se développer, il y a de la place, il ne faut pas aller trop vite, car leur temps viendra et il faudra être prête. Quand on joue en D1, on n'a pas l'occasion deux fois de faire bonne impression. Que peux-tu leur dire à ce sujet ?

Oui c'est vrai [on n'a pas deux fois l'occasion de faire bonne impression].

C'est vrai que nous on n'avait pas du tout les stages que vous organisez, c'est exceptionnel ! Ma génération de gardiennes, ce n'était que avec des garçons, tout le temps. Cela fait progresser c'est bien, mais il y a des fois où on a des questions, auxquelles les garçons n'ont pas forcément les réponses.  Donc ce stage c'est bien, car vous pouvez voir les filles à votre poste, vous pouvez échanger, vous pouvez rigoler, vous faire des amies, donc c'est trop bien.

À notre poste il faut être patient. Ma première titularisation en D1, je l'ai eu au Havre contre le Paris FC (victoire 1-0, ndlr), j'avais 23 ans et pourtant je joue en D2 depuis que j'ai 17 ans et je suis en D1 depuis que j'ai 16 ans. Donc il faut être patiente, et être performante, le fait que j'ai continué à travailler, malgré le fait que je ne jouais pas, ça m'a permis contre le PFC de faire un match de fou, de faire une bonne première impression pour mon premier match de D1, même si je n'ai pas eu d'autres matches après. Au moins j'ai fait ma bonne première impression, et j'ai fait ce que j'avais à faire.

C'est pour ça qu'il faut continuer à bosser, même si à notre poste, il n'y a qu'une seule place sur le terrain, alors que parfois on est 2/3/4, car quand vous avez votre chance, il faut être prête pour la saisir. Si vous vous dîtes : "Je joue pas, j'ai la flemme, je vais arrêter de bosser" s'il y a des blessures ou des départs devant vous, vous ne serez pas prête à jouer [le jour-J].

 

Photo : Mary Bassery / FFF

Dounia MESLI