On entend déjà parler d'elle en A, comme la relève des Bleues, Maëlle Lakrar n'a pourtant aucune prétention et ne veut pas griller les étapes, comme toutes les joueuses de son âge. Avant France/Norvège, un match décisif pour confirmer leur qualification en demi-finale du championnat d'Europe, on a voulu se mettre dans la tête de la défenseure centrale de l'équipe de France U19 ! Entretien.

 

 

Coeurs de Foot - Tu es l'une de celle à avoir joué chaque minute depuis le début de la compétition. Comment tu évalues tes deux premiers matches ? 

Maëlle Lakrar - Sur la première rencontre, l'entame de mon match était moyenne parce que j'ai perdu des ballons faciles. Après j'ai su me rattraper rapidement, et le coach m'a dit que c'était mieux au fil de la rencontre. Et sur le deuxième match il m'a dit qu'on ne devait pas voir la numéro 9 [adverse, Joelle Smits] et j'ai essayé de faire cela du mieux possible, je pense l'avoir bien fait.

 

CDF - Est-ce que tu te considères comme une "vraie" défenseure centrale, c'est à dire à rester dans ta zone, ou est-ce que parfois tu penses à vouloir décrocher pour monter et être un soutien offensif presque ?

M. L. - Quand j'étais un peu plus jeune je jouais 10, du coup j'ai tendance à vouloir monter quand c'est possible et fixer avec le ballon, donc je joue un peu les deux, j'aime bien décrocher parfois [de mon position de défenseure].

 

CDF - Qu'est-ce qui s'est passé sur les deux buts que vous avez encaissé ? (Le premier but encaissé par les Bleuettes est un ballon renvoyé à l'adversaire plein axe et le second est dû à un manque d'agressivité sur la retombée du ballon plein axe.) 

M. L. - Le but contre l'Écosse c'est un but renvoyé [par nous-même] comme tu dis et même celui face aux Pays-Bas, on se met en danger toutes seules, on rend le ballon à l'adversaire sur les buts encaissés dans l'axe du jeu et personne n'est à la deuxième retombée [pour écarter le danger], ensuite elles frappent et ça va au fond. Le coach nous a dit que les deux buts auraient pu être évités, c'est nous qui leur donnons les buts.

 

CDF - Est-ce que c'était un problème de marquage ou de placement, de déplacement, d'alignement de la défense tricolore ? 

M. L. - Il n'y a pas que la défense qui doit faire les efforts défensifs on va dire, il y a les milieux aussi qui doivent revenir et sur le deuxième ballon nous les défenseures on ne peut pas être partout, puisque sur les centres déjà on est au marquage, et s'il y a personne sur le deuxième ballon, c'est un risque de but. C'est dur déjà de gérer le premier ballon et encore plus le deuxième quand on est défenseure, car le ballon est trop loin pour pouvoir le contrer ou intervenir efficacement. Moi j'ai essayé de contrer le ballon [lors du match contre les Pays-bas], mais j'étais trop haute [quand je me suis retournée].

 

CDF - On peut dire que c'est un vrai point faible d'ouvrir le score et de ne pas réussir à maintenir le score. T'étais toute proche des deux actions, mais à chaque fois tu avais une coéquipière sur l'adversaire. C'était frustrant pour toi ? On a vu que tu étais en colère limite.

M. L. - Oui on ne pouvait pas être à deux sur une adversaire et sur le deuxième but [des Pays-Bas], je pense qu'on ne parle pas à Manon [Revelli] parce qu'elle n'a personne derrière elle et elle reprend le ballon de la tête, ça le met dans l'axe, alors qu'on aurait pu lui dire qu'elle était seule et elle aurait pu laisser le ballon [sortir en six-mètres] ou dégager le ballon tranquillement.

Oui j'étais en colère sur les deux buts parce qu'on leur donne, et c'est pas beau, et tous les buts qu'on prend ça compte dans la compétition.

 

CDF - Je pense que les buts que vous avez pris c’est plus que de la frustration, c’est de l’agacement ?

M. L. - Oui il n'y avait pas de frustration, voilà c'était plutôt de l'agacement parce que ce sont des buts comme tu dis "casquettes" et évitables... Si on se prend tout le temps des buts comme ça, ça va être compliqué à accepter à la longue [mentalement].

 

CDF - Le point positif de cette situation, c'est que vous avez su revenir de l'arrière et empocher la victoire lors de ces deux matches ?

M. L. - Oui c'est ça, ça a décuplé notre mental et on a su réagir malgré l'égalisation au final, en empochant les trois points.

 

CDF - Qu’est-ce que tu te dis que le terrain quand tu es à ton poste, que tu vois tes coéquipières devant toi, et tes adverses aussi ?

M. L. - Je me dis quand on a tous un travail à faire dans l'équipe et moi en tant que défenseure, défendre c'est mon boulot, je travaille depuis longtemps à ce poste, donc je sais ce que j'ai à faire. Après il y a des moments difficiles, comme à chaque poste, mais je donne tout le temps ce que je peux.

 

CDF - Est-ce que tu dis des choses en particulier, comme par exemple : "Je dois être un mur" ou autre chose pour te rassurer peut être avant d'affronter une équipe ?

M. L. - Avant de commencer le match contre les Pays-Bas, j'en ai parlé avec Selma [Bacha] et on s'est dit que la numéro 9 [Joelle Smits] ne devait pas passer. Dans ma tête c'était que je devais gagner tous mes duels et je pense avoir réussi [puisqu'elle n'a pas marqué].

 

CDF - Comment tu gères l’anticipation des actions adverses ? 

M. L. - C'est un atout que j'ai de voir où le ballon va aller, comme le ballon que j'ai récupéré au milieu de terrain [lors du match contre les Pays-Bas] et sur le fait que je monte après avec, c'est un ballon que je vois perdu et je me dis que je peux l'avoir donc j'y vais à fond et je l'ai, ça a fonctionné.

 

CDF - Dans le foot il faut avoir un coup d’avance face à l'adversaire, comme aux échecs. Est-ce que c'est un peu la philosophie de jeu que tu essayes de développer ?

M. L. - Oui totalement. En club déjà je travaille beaucoup cet aspect, tout comme la concentration, parce que si on n'est pas concentrée, on ne risque pas d'avoir un temps d'avance [sur l'adversaire]. Chez les défenseures, c'est tout le temps ça, on travaille tout le temps la réaction, on attend que le ballon arrive et il ne faut pas [il faut toujours anticiper]. Il faut être dans l'action et non la réaction.

 

CDF - J'ai remarqué sur certains matches des mini-moments d'absence, de quelques secondes, comment tu l'expliques ? 

M. L. - Oui, (elle réfléchit) je pense... c'est par rapport aux matches, parfois ce sont des manques d'attention, comme une sortie en touche, comme il y a pu y avoir ou le moment où je me fais mal au genou et que dans ma tête ça me perturbe un peu. Après en une seconde tout peut arriver dans un match, donc faut rester concentrée tout le long.

 

CDF - C'est un problème de constance qui peut être frustrant à gérer durant 90 minutes, mais tu es jeune donc c'est normal, et ça arrive même chez les seniors, alors que de ton côté tu es en pleine formation on va dire ? 

M. L. - Oui ça s'apprend et ça arrive à tout le monde [personne n'est infaillible], j'espère qu'en grandissant, je n'aurai plus ce soucis [de constance dans ma concentration].

 

CDF - Comment tu sais si tu dois attaquer pour renvoyer le ballon avant qu'une adversaire ne s'approche trop prêt ou si tu dois reculer pour faire déjouer l'adversaire, l'amener à jouer sur son pied faible et attendre le repli de tes coéquipières ?

M. L. - Déjà on a l’analyse vidéos [des adversaires] pour connaître les joueuses qu'on a en face de nous, si elle est gauchère, droitière, si elle va vite ou pas, et après on joue en fonction de tous ces détails. Comme hier Smits (vendredi 19 juillet, ndlr) je savais qu'elle jouait avec son bras, et mon coach [Gilles Eyquem] m'a dit de ne pas la coller et d'attendre qu'elle est le ballon pour la tamponner ou sinon d'y aller avant qu'elle le reçoit, mais d'y aller sûr, parce que sinon elle va me contourner et elle va me passer devant. Il faut être sûre de soi au maximum avant de faire quoi que ce soit.

 

CDF - Dans quoi est-ce que tu dois t'améliorer selon toi ?

M. L. - Sur mes sorties de ballons, c'est à dire donner de bons ballons à mes coéquipières, dans les meilleures conditions possibles. Souvent j'essaye de les donner pas trop loin de moi et il faudrait que j'arrive à voir plus loin, casser une ou deux lignes, voir faire la dernière passe avant le but. Il faut que j'arrive à travailler mes longs ballons en fait. Je pense qu'avec le temps, ça va venir, je vais parvenir a faire de longues transversales à mes coéquipières devant.

 

CDF - C'est quelque chose que tu vas peut être mettre en exercice dès ton prochain match face à la Norvège, qui a cartonné l'Écosse (4-0) ?

M. L. - Oui après le premier match qu'elles ont fait, on ne s'y attendait pas forcément. On a fait un travail par rapport à leurs matches et les vidéos qu'on a vu, et on verra comment il faudra jouer, parce qu'elles ont des grands gabarits également [comme les Pays-Bas], et leur mettre des ballons par-dessus ça va être dur, elles vont tout prendre et contrer de la tête, donc je pense qu'il va falloir jouer intelligemment, poser le ballon, jouer notre jeu comme on sait le faire, et être au duel. 

 

CDF - J'ai remarqué que tu ne regardais pas assez ce qui se passe autour de toi ? C'est à dire que tu es fixée sur le ballon et pas ce qui se passe autour de toi (de ce qu'on voit malheureusement à la TV, car parfois ce n'est pas le cas quand on voit le match depuis le stade...).

M. L. - Oui, de toute façon j'ai encore du travail à faire, je suis encore jeune, mais quand l'adversaire a le ballon, il faut suivre le ballon et non pas la joueuse.

 

CDF - J'imagine que tu as suivi la Coupe du Monde des Bleues avec un E, c'était compliqué pour l'équipe de France ? Quelle défenseure t'as la plus impressionnée ? 

M. L. - Oui c'était compliqué [pour les Bleues] mais en face il y avait de bonnes équipes aussi en face. Après on pourra pas dire que la France n'a pas bien joué, je pense qu'elles ont fait de très bons matches, mais il manque toujours quelque chose [pour qu'elles aillent au bout].

La défenseure qui m'a la plus impressionnée ? Je sais plus comment elle s'appelle l'Américaine. (je lui cite des noms) Oui c'est ça, Becky Sauerbrunn, je l'aime bien et il y a également Griedge M'Bock.

 
 
Photo : Maxime Le Pihif
 
Dounia MESLI