Trois jours avant le quart de finale de Coupe du monde contre les Etats-Unis qui attend l'équipe de France à Paris, Sarah Bouhaddi a tenu une conférence de presse à Clairefontaine. La gardienne des Bleues sait que la marche sera élevée face aux championnes du monde en titre, étiquetées comme favorites pour cette Coupe du monde 2019. Mais elle a confiance en elle et en ses coéquipières, et est vraiment focalisée sur elle-même pour passer cet obstacle et rejoindre les demi-finales.

 

Journaliste (RMC Sport) : Sarah, vous êtes de retour à Clairefontaine, "chez vous". Pas de déplacement à Courbevoie ou à Colombes pour vous et vos coéquipières. Est-ce que vous considérez que c'est un avantage, en tant que pays hôte ?

L'avantage c'est qu'on est chez nous, comme vous l'avez dit. On a les installations sur place. Ce qui est bien aussi c'est qu'on va pouvoir travailler tranquillement, sans journalistes, sans supporters, être vraiment centrées sur nous-mêmes, dans notre bulle et travailler tranquillement.

 

Journaliste (L'équipe TV) : On parlait tout à l'heure avec l'entraîneur adjoint du discours des joueuses américaines, toujours empreint d'assurance et qui peut tendre parfois vers l'arrogance. L'entraîneur adjoint disait que vous, les joueuses, les connaissez depuis des années, que vous avez l'habitude de les entendre parler comme ça. Comment jugez-vous ça dans le groupe ? Est-ce que ça peut être une source de motivation ?

Je pense qu'elles sont éduquées comme ça depuis toutes petites, quand elles font un sport collectif, elles sont formatées pour parler comme ça. On les connaît, on ne s'attarde pas sur leur discours. Ce qui sera important c'est le jour J.

 

Journaliste (RMC Sport) : Ce France Etats-Unis, c'est le quart de finale que tout le monde attendait depuis le tirage au sort. Comment abordez-vous ce choc face aux championnes du monde en titre ?

C'est le quart de finale que "vous" attendiez (sourire) ! Je pense que vous devez être contents. Vous allez pouvoir publier tous les titres que vous voulez. Pour nous ça reste un match de Coupe du monde. Le match contre le Brésil en 1/8 de finale (2-1 après prolongations, ndlr) était aussi dur que ce qu'on va devoir affronter vendredi. On va essayer de se préparer au maximum pour répondre présentes pendant ce match.

 

Journaliste (AFP) : Je voulais connaître le regard que vous portez sur Alex Morgan que vous avez côtoyée en club à l'Olympique lyonnais. Comment ça s'était passé ? Quelle était son profil ? Qu'apportait-elle à Lyon ?

Alex, je l'ai connue à Lyon, elle est restée six mois (de mars à septembre 2017). C'est une joueuse très professionnelle que j'apprécie, qui donne le maximum pour le collectif. Une joueuse avec énormément de qualités, qui court très vite. Mais il ne va pas trop falloir s'attarder sur sa personnalité à elle. Je pense que collectivement on a déjà pas mal de boulot à faire et on doit plutôt être focalisées sur notre équipe.

 

Journaliste (L'équipe) : C'est toujours difficile de parler de soi. Mais j'aimerais avoir votre avis sur vos prestations personnelles depuis le début de la Coupe du monde. Notamment sur vos sorties aériennes, votre jeu au pied. Et sur le fait que vous jouez très haut, ce qui permet à l'équipe de jouer très haut aussi.

Je n'ai pas changé ma façon de jouer. Je suis sur la même ligne directrice que ce que je fais depuis le début de saison. J'essaie d'être efficace, de répondre présente, d'aider au maximum mon équipe. J'ai eu des scenarii différents depuis le début de la Coupe du monde avec un style de jeu différent. Mon objectif principal, c'est d'être efficace, et d'aider au maximum mon équipe, c'est le plus important aujourd'hui.

 

Journaliste (RMC Sport) : Sarah, par rapport à ce qui se passe aujourd'hui au niveau de la météo et jusqu'à la fin de semaine, avec le pic de chaleur attendu vendredi pour votre prochain match, on annonce 27, 28°C au moment du coup d'envoi. Comment on se prépare à ça ? Est-ce que c'est quelque chose qu'on peut redouter aussi quand on voit le match Espagne - Etats-Unis de lundi (2-1 pour les USA) à Reims, c'était éprouvant pour les deux équipes ?

Oui, ça va être un point important. Les filles qui n'ont pas démarré le match contre le Brésil se sont entraînées hier, elles nous ont dit qu'il faisait très chaud, que l'entraînement n'était pas facile. On va essayer de se préparer durant cette semaine sur cet aspect-là. Maintenant, le jour du match, je pense qu'on est capables d'oublier la chaleur et de donner le maximum. Après c'est à nous de bien temporiser le jeu, de ne pas tout jouer à fond et d'avoir des temps de jeu "calmes" pour pouvoir récupérer et bien être en place.

 

Journaliste (Radio France) : Avez-vous regardé les Américaines face à l'Espagne ?  Comment les avez-vous trouvées? On dit depuis longtemps que ce sont les ultra-favorites, qu'elles sont hyper puissantes, engagées et techniques.

Ce sont les Américaines ! Elles ont fait de très bons matches depuis le début de la compétition. Elles ne sont pas n°1 au classement FIFA par hasard. Elles ont un jeu très porté vers l'avant, elles se projettent très vite. On a regardé leur match hier, on a vu une équipe espagnole qui s'est battue, qui est bien restée en place, qui les ont mises en difficulté. Le staff va bien analyser ce match-là, les matches précédents et mettre en place une tactique qui va pouvoir les mettre en difficulté.

 

Journaliste : Vous dites que ce quart de finale était surtout attendu par les journalistes et le grand public. Est-ce qu'il était aussi attendu par vous, les joueuses ? Philippe Joly expliquait que le match contre le Brésil, les difficultés que vous avez éprouvées, pouvaient être expliqués par la présence des Etats-Unis dans vos pensées ?

Non, on n'a jamais trop parlé des Américaines. Si vous nous en parlez pas depuis le début, on ne parle pas d'elles. On s'est vraiment projetées match après match. On savait que le premier tour était important. On savait que le 1/8e de finale allait être très difficile. Il va falloir bien récupérer parce qu'on a joué 120 minutes contre le Brésil. Pas mal d'énergie psychologique et physique a été lâchée. On va bien récupérer et se projeter sur ce match France - Etats-Unis.

 

"On n'a jamais trop été roublardes"

 

Journaliste (RMC Sport) : Par rapport au match de lundi, les Espagnoles ont imposé un certain défi aux Américaines, les ont fait douter un petit peu dans le secteur défensif. On parlait de la "roublardise" des Brésiliennes. Le match des Espagnoles ressemblait un peu à ça. Et Philippe Joly nous disait que cette roublardise n'était pas dans votre culture. Etes-vous capables vous aussi de défier les Américaines sur cet aspect-là ?

On n'a jamais trop été "roublardes". On ne va pas changer notre style parce qu'on joue les Américaines. C'est vrai que les Brésiliennes ont beaucoup joué comme ça, ont beaucoup joué avec l'arbitrage. On a vu aussi des Espagnoles qui ont essayé de pousser les Américaines dans leurs retranchements. On va vraiment se concentrer sur nous-mêmes, mettre en place notre assise défensive, notre jeu technique, pour pouvoir les mettre en difficulté et les faire courir, parce qu'elles n'aiment pas ça.

 

Journaliste (L'équipe) :Vous avez battu les USA en janvier en amical (3-1). Que pouvez-vous retenir de ce match-là ? Est-ce que ça peut vous donner de la confiance ?

On les a battues certes, mais c'était un match de préparation. Ce qui s'est passé en janvier ne ressemblera pas à ce qui se passera vendredi. On est en Coupe du monde, l'enjeu sera différent, la préparation sera différente. On sait qu'il faudra gagner ce match pour continuer l'aventure et être dans le dernier carré. Même si on va quand même tirer des enseignements de la victoire en janvier, aujourd'hui c'est complètement différent.

 

"Le jour du match, il n'y aura pas de favori"

 

Journaliste : Depuis le début de la compétition, vous avez abordé vos rencontres dans la position de favorites. Est-ce que ce ne sera plus le cas face aux USA ?  Est-ce que ça enlève un peu de pression ?

On jouera à domicile donc je pense qu'on sera peut-être légèrement favorites. Forcément, on est attendues à chaque match, on a envie de bien faire. Les Américaines sont n°1 au classement FIFA. Elles sont peut-être plus favorites que nous mais je pense que le jour du match, il n'y aura pas de favori. Il y aura un 1/4 de finale de Coupe du monde avec l'objectif de passer en 1/2 finales.

 

Journaliste (L'équipe) : On parle souvent de la force mentale américaine. Comment jugez-vous la force mentale de l'équipe de France ? Est-ce que quelque chose s'est crée lors de ce 1/8e de finale difficile face au Brésil ?

Je ne vais pas dire que quelque chose s'est spécialement crée contre le Brésil. Ca a accentué notre force mentale mais ça fait déjà quelques mois qu'on a réussi à développer cet aspect-là. Il y a un an, on avait pris une bonne claque contre l'Angleterre en She Believes Cup (défaite 1-4). Depuis ce match, je trouve qu'on a vraiment progressé sur l'aspect mental. On a pris conscience des qualités du groupe, qu'elles soient mentales, physiques ou techniques.

Je pense que notre atout mental est aussi fort que celui des Américaines. Lors de notre victoire contre la Norvège en poules (2-1), on a été cherché la victoire après avoir concédé l'égalisation. Contre le Brésil, ça a été un match difficile avec des scenarii difficiles. Et on arrive à aller chercher cette victoire au-delà du temps réglementaire.

 

Journaliste (RMC Sport) : Juste pour revenir sur la chaleur. Comment allez-vous faire pour vous prémunir de tout ça ? Philippe Joly nous parlait des "boissons spécifiques". Mais est-ce que vous avez des petites astuces pour éviter l'insolation par exemple ?

Moi je n'ai pas de petits trucs. Je vais m'entraîner normalement. Il va faire chaud, il faut faire avec, c'est comme ça. On commence à être en été, on s'attendait aussi à ça. Il ne faut pas changer notre façon de travailler. Le staff médical va mettre pas mal de boissons de récupération à notre disposition.

 

Journaliste : Sarah vous allez refouler la pelouse du Parc des Princes, devant 45 000 personnes, comme lors de votre match d'ouverture contre la Corée du Sud (4-0). Est-ce que l'émotion qu'on a vue sur le visage de certaines de vos coéquipières face à la Corée s'est transformée au fil des matches devant tous ces spectateurs en énergie positive ?

Oui, on a fait un match d'ouverture devant un public extraordinaire. On a la chance d'évoluer dans des stades pleins durant cette Coupe du monde. Les supporters vont être importants. On l'a vu contre le Brésil, c'était difficile et le fait d'avoir les supporters derrière nous nous a poussées énormément. J'espère qu'on aura la même euphorie, le même engouement vendredi contre les USA.

 

Journaliste : L'équipe de France reste sur quatre échecs en 1/4 de finale dans les grandes compétitions. Qu'avez-vous retenu de ces échecs qui pourrait vous aider à passer ce cap ?

Moi je suis passée à autre chose. Je ne pense plus à ce qui s'est passé avant. Aujourd'hui je suis avec cette nouvelle équipe de France, ce nouveau staff. On est sur une bonne ligne, on travaille très bien, on est dans notre bulle, il y a une bonne cohésion, un bon état d'esprit. Je ne pense pas à avant, je pense à l'après et ce match vendredi.

 

"Leur atout premier est de se projeter très vite vers l'avant"

 

Journaliste : Comment vous sentez-vous d'être la gardienne de but qui va affronter une équipe américaine avec tant de talents offensifs qui voudront absolument marquer ? Comment vous préparez-vous ? Avez-vous des astuces pour les tirs au but au cas où le match en arrivait là ? Et que pensez-vous de la gardienne américaine Alyssa Naeher ?

Naeher est une très bonne gardienne. Elle a peu de matches internationaux de haut niveau dans les jambes. Elle découvre un peu la Coupe du monde. Elle a fait de très bons matches avant la Coupe du monde, elle a des qualités athlétiques intéressantes. Même si le match de lundi contre l'Espagne a été un peu difficile pour elle, elle est capable de se reconcentrer et de faire un bon match contre nous.

 

Journaliste : Et les attaquantes américaines ?

Je les connais. Que ce soit Tobin Heath, Alex Morgan ou Megan Rapinoe. J'ai joué avec Alex et Megan, ce sont de très bonnes joueuses, qui font partie des meilleures au niveau mondial. Leur atout premier est de se projeter très vite vers l'avant, de courir très vite. A nous de ne pas être trop espacées pour pouvoir couper leurs attaques.

 

Journaliste : Et quel est ton avis sur la nouvelle règle concernant les penaltys (les gardiennes doivent dorénavant garder au moins un pied sur leur ligne de but au moment de la frappe) ?

(rires) Je n'ai pas trop d'avis à donner. Tout ce que je peux dire, c'est que c'est compliqué. On a mis en place une nouvelle règle qu'on n'a pas eu le temps de travailler. Quand on arrive le jour du match, on peut se poser pas mal de questions car garder les deux pieds sur la ligne au moment du penalty ce n'est pas facile. On a des attitudes qu'on a prises au fil du temps qu'il faut essayer de gommer le jour du match. Mais après la Coupe du monde, je pense que cette règle va être améliorée parce pendant cette Coupe du monde ce n'est pas facile.

 

Journaliste (AFP) : Pour reprendre la question de ma collègue tout l'heure, est-ce qu'en tant que gardienne de but on prépare différemment ce match contre les USA ? A  t-on en tête une éventuelle séance de tirs au but ? Est-ce que votre bonne prestation contre le Brésil vous donne confiance ?

Moi je ne change pas ma façon de travailler, que ce soit contre les Américaines ou les Coréennes qu'on a jouées lors de notre premier match. J'aurai la même préparation durant toute la semaine, le même échauffement. Je vais regarder mon adversaire comme je l'ai regardé précédemment. Concernant mes prestations, je suis sur la même ligne directrice que celle que je suis depuis un an avec mon club ou l'équipe nationale. Je ne me focalise pas sur ce que je fais moi-même, je pense vraiment collectif. On a un objectif commun qui est d'aller chercher cette Coupe. Si on arrive à toutes être prêtes le jour J, on peut faire quelque chose de fort.

 

Journaliste (Le Parisien) : Par rapport à une éventuelle séance de tirs au but, est-ce que vous les aviez préparés avant le Brésil ? Est-ce que vous allez les préparer avant les USA ?

On n'a pas fait de séances de tirs au buts à l'entraînement. J'ai regardé les tireuses brésiliennes tranquillement dans ma chambre. Moi je me suis préparée un peu avec les deux autres gardiennes à l'entraînement, parce que comme je l'ai dit à votre collègue, on a des attitudes sur les penaltys qui sont différentes par rapport à la nouvelle règle. Forcément il faut essayer de corriger cette attitude-là. C'est ce que j'essaie de faire. Mais je ne me focaliserai pas sur cette éventuelle séance de tirs au but pour vendredi.

 

Journaliste :Depuis le début du mondial, on sent que vous, les joueuses, êtes très touchées par l'engouement, les stades pleins, le soutien du public. Et à l'inverse, depuis plusieurs semaines, votre coach Corinne Diacre nous dit qu'elle ne s'autorisera qu'une seule émotion, le 7 juillet vers minuit si vous êtes championnes du monde. Comment voyez-vous ça ?

C'est normal. Elle tient le navire. Si elle commence à tomber dans les émotions, ça va être compliqué (sourire). On a vraiment une ligne directrice qui est de rester dans notre bulle. On a conscience de l'événement, on voit l'ampleur que ça a aujourd'hui. Mais paradoxalement on est concentrées sur nous-mêmes, à l'entraînement, dans nos chambres, on ne se rend pas compte de ce qui se passe. C'est vraiment le jour du match quand on voit les supporters qui nous attendent en bas de l'hôtel ou quand on va sur le trajet du stade, qu'on se rend compte de l'engouement. Mais on arrive à ne pas tomber dans l'émotion.

 

***Crédits photo : Manu Cahu

Arnaud Le Quéré