Cette saison encore, Sakina Karchaoui a pris une dimension supplémentaire aussi bien en club avec Montpellier que par ses sélections désormais régulières en équipe de France. Ses qualités balle au pied, entre accélérations fulgurantes et dribbles chaloupés ne passent pas inaperçus et lui valent aujourd'hui d'être nommée pour la deuxième saison consécutive aux trophées UNFP dans la catégorie « meilleure espoir de la D1 féminine ».

 

Cœurs de Foot – Est-ce que ça vous va cette étiquette d'espoir de la D1 ? Du foot français ?

 

Sakina Karchaoui – Je suis une jeune joueuse, qui est en sélection et qui joue en club. Il y a beaucoup de joueuses avec le même statut que moi donc qui pourrait intégrer la catégorie de meilleure espoir. Après j'espère que j'irai jusqu'au bout et gagner ce trophée parce que ce sera toujours bien.

 

CDF – On a l'impression que ça va avec le fait que le public vous remarque plus sur le terrain. Je pense au match de Coupe de France que vous avez joué à Domont en région parisienne où une partie des personnes présentes au stade vous ont découverte, des encouragements, un peu d'admiration.

 

S.K – Oui, je le remarque moi aussi, même via les réseaux sociaux donc c'est toujours plaisant de voir autant de gens qui nous suivent.

 

« Je voulais ce statut de titulaire à Montpellier »

 

CDF – C'est votre troisième saison en D1, vous aviez parlé de la difficulté de vous imposer au début notamment à cause des blessures. Qu'est-ce qui a été l'obstacle le plus difficile à surmonter pour s'imposer à Montpellier ?

 

S.K – Quand on arrive avec un statut de jeune, j'avais 17 ans, c'est toujours bien d'intégrer les entraînements avec la D1. Après il faut toujours vouloir plus et donc je voulais ce statut de titulaire à Montpellier Hérault. Après c'est dur, tout le monde passe par là, il faut se battre à l'entraînement, ne rien lâcher et il faut prouver le maximum.

 

Après j'ai eu des blessures, il y avait l'Américaine [Genessee Daughetee] qui jouait à mon poste à Montpellier et elle était plus âgée que moi. Donc c'est vrai que d'arriver et de prouver en tant que jeune c'est difficile. Et puis après voilà, les entraînements je lâchais pas et le travail a fini par payer.

 

CDF – Quand on parle de votre réussite actuelle, vous insistez sur la nécessité de continuer à travailler...

 

S.K – J'ai une mentalité où pour moi rien n'est acquis, tout peut basculer du jour au lendemain donc faut jamais se reposer sur ses lauriers. Moi, j'ai un dicton : « la réussite arrive avec le travail » et après j'ai connu la sélection avec les A donc tout a basculé au même moment. C'est bon à prendre.

 

CDF – Vous avez joué milieu défensif, numéro 10, milieu gauche et latérale. Est-ce que vous pensez que votre positionnement sur le terrain peut encore évoluer avec le temps ? Attaquante ? Défenseure centrale ?

 

S.K – Non, pas défenseure centrale (rires). J'ai commencé le foot en jouant 6 après je suis montée en 10 et j'ai fini sur le côté. Après les latérales d'aujourd'hui on apporte énormément devant donc c'est un poste que j'aime bien. Si je viens à évoluer plus tard, je monterai sûrement d'un cran et ce sera plus dans ma position.

 

« Il faut que tu défendes et après t'attaques »

 

CDF – Latérale c'est votre poste, mais c'est vrai que vous avez cette qualité de pouvoir percuter, dribbler, faire des différences balle au pied. Est-ce que les entraîneurs vous donnent des consignes par rapport à ça ?

 

S.K – Oui, bien sûr. Des fois, j'ai tendance à être trop projetée vers l'avant et on m'a souvent répété : « quand tu joues derrière, il faut que tu défendes et après t'attaques ». Après je pense que j'assimile de plus en plus cet aspect-là. Et puis après, je pense que ça me dénaturerai si on me disait de pas dribbler, de pas monter, pas dédoubler ou quoi que ce soit. Je pense que ce sera pas moi au final.

 

On me donne des limites défensivement, après en attaque, ils savent que je me débrouille. Je pense que tactiquement, il faudrait que je progresse sur ça et de toute façon on ne fait que progresser. Si on régresse, c'est qu'il y a un problème.

 

CDF – Cette saison, après la blessure de Sofia Jakobsson, il y a eu beaucoup de questions autour de Montpellier, comment l'équipe allait réagir. Qu'est-ce qui vous a permis de repartir de l'avant sur la fin de saison ?

 

S.K – C'est une super joueuse. Après sa blessure, on était énormément déçues, mais [ensuite] c'est la force mentale et la force de l'équipe qui ont fait qu'on a su surmonter ça. Et à Montpellier, il y a d'autres attaquantes, il y a eu [Laëtitia] Tonazzi qui a été blessée, c'était un très bon appui. Maintenant, c'est triste à dire mais voilà, il y a d'autres attaquantes comme Valérie Gauvin, Stina Blackstenius, Clarisse Le Bihan et Janice [Cayman] qui apportent énormément dans l'attaque et on est arrivées à combler ce manque-là.

 

« Construire notre expérience »

 

CDF – Et avec Marie-Charlotte Léger, Lindsay Thomas, on parle de jeunes joueuses. Vous êtes pas mal de jeunes joueuses dans l'équipe et vous avez quelque part pris vos responsabilités.

 

S.K – Oui et nous aussi on doit se forger et construire notre expérience mais elles nous ont beaucoup apporté, et c'est vrai que Sofia, je lui souhaite un bon rétablissement encore une fois et qu'elle revienne encore plus forte.

 

CDF – Vous êtes actuellement deuxièmes à deux journées de la fin, donc potentiellement qualifiées en Champions League. L'Europe, est-ce qu'on peut commencer à en parler où c'est encore trop tôt ?

 

S.K – Moi personnellement, j'en parlerai pas. Je me projetterai pas tant que les deux matches n'ont pas encore été faits. On espère le meilleur, on espère enfin y aller à cette Ligue des Champions que peut-être, on a mérité tout au long de l'année.

 

CDF – En 2010, vous étiez avec les jeunes de Montpellier mais est-ce que vous aviez assisté à l'époque aux matches de Coupe d'Europe de Montpellier, notamment face au Bayern ?

 

S.K – Oui, à l'époque je pense que je devais avoir quinze ans. Et notre équipe, on devait faire ramasseuses de balles donc je m'en rappelle très bien. Après c'est vrai que c'était énorme, c'était à La Mosson et c'est des matches énormes, et c'est des expériences qu'on oublie pas. Et on espère que maintenant c'est à nous de la faire.

 

« Au début je voulais vraiment pas [jouer en club] »

 

CDF – Montpellier, c'est votre club formateur mais vous êtes originaire des Bouches-du-Rhône. Est-ce dans votre entourage, les amis, on vous incite à venir jouer à l'OM?

 

S.K – Non, pas spécialement. Après l'OM c'est une bonne équipe et elles ont fait une très bonne saison. Mais voilà, je suis à Montpellier depuis jeune [à 13 ans], donc je me suis même pas posée cette question. C'est sûr que Marseille, c'est ma ville natale, et j'oublie pas d'où je viens, mais si je peux faire la Ligue des Champions avec Montpellier ce serait top.

 

CDF – Pour parler de vos débuts, on a pu lire que vos premiers pas en club, c'était par l'intermédiaire du père de votre meilleure amie qui vous avez vu jouer au foot et qui vous a proposé à vos parents de vous inscrire en club...

 

S.K – Oui c'est ça, je le connaissais bien, c'était comme mon deuxième papa. Donc après, il m'avait demandé d'aller en club et c'est par lui que j'y suis partie.

 

CDF – Est-ce que vous pensiez à ce moment-là pouvoir jouer au foot en club ?

 

S.K – Non, pas du tout. Au début je voulais vraiment pas. C'était pas mon but de m'inscrire. J'aimais bien après l'école, descendre avec les garçons et puis ma meilleure amie, aller jouer au foot en bas dans le quartier. Et puis du coup, il est parti voir mon père et demander si je pouvais faire du foot, avec mon frère bien évidemment. Et puis voilà, on m'a inscrite à Miramas et je suis partie jouer là-bas. Les garçons avec qui je jouais, j'étais à l'école avec eux, dans le même collège. C'était bien et j'en garde que des bons souvenirs.

 

« Des expériences comme ça, j'en voudrais plein. »

 

CDF – Pour parler de l’Équipe de France qui a été l'une de vos réussites ces derniers mois, on voulait revenir sur deux épisodes que vous avez vécu. Le premier, c'est ce match face à la Nouvelle-Zélande à Salvador de Bahia pour les J.O et à la télé, à chaque fois que vous touchiez le ballon, on entendait des vivas dans le stade. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous l'avez vécu sur le terrain ?

 

S.K – Au Brésil, contre la Nouvelle-Zélande, il y avait beaucoup de public et déjà quand on joue dans un stade rempli de monde, ça fait toujours plaisir. Qu'il soit contre nous ou avec nous. Après c'est sûr, quand le public est avec nous, c'est toujours un plus. Et puis après quand j'étais dans le match, j'entendais du bruit quand je touchais la balle mais je pensais pas spécialement que c'était par rapport à moi.

 

Et puis à la fin du match, plein de monde me disait : « T'as vu, t'as entendu, à chaque fois que tu touchais le balle, ça criait et tout ». Je m'étais pas aperçue, quand je joue, je suis dans une bulle et concentrée à 100 %, j'entendais mais sans le comprendre. Et puis après quand on m'a dit ça, ça m'a fait super plaisir.

 

CDF – Le deuxième, moins joyeux, c'est lors de la Coupe du Monde des moins de 20 ans avec cette demi-finale face au Japon. Vous devez sortir après une commotion cérébrale et ça vous empêche ensuite de jouer la finale. Comment ça se passe pour vous à ce moment-là ?

 

S.K – Déjà, quand je me fais le traumatisme crânien, c'est vrai que j'étais ailleurs, j'ai perdu connaissance, je suis partie à l'hôpital. Après ça a été les docs qui devaient prendre la décision, je pouvais pas m'y opposer alors que voilà c'était une finale. C'était un truc à vivre, c'était énorme, peut-être une seule fois dans la vie, on sait pas.

 

Et puis, c'est vrai que ça a été un choc pour moi, que ce soit mentalement ou physiquement. Après, j'étais à fond derrière elles à la finale, j'ai parlé dans les vestiaires pour les motiver et malheureusement on perd. Après, quand on se sent impuissante... C'est encore pire, je pense, de se sentir impuissante plutôt que d'être sur le terrain et jouer.

 

CDF – Cette Coupe du Monde U20, malgré cet épisode, vous considérez ça comme une bonne expérience ?

 

S.K – Oui, c'est une expérience inoubliable. Franchement c'était top. Des expériences comme ça, j'en voudrais plein.

 

« [Avec Amel] on se donne des petits conseils entre nous »

 

CDF – Dernier aspect sur l'équipe de France, une des choses intéressantes que l'on a pu observer ces derniers mois c'est votre association côté gauche avec Amel Majri qui est une joueuse qui est un peu dans le même registre que vous.

 

S.K – C'est vrai qu'Amel et moi, on a le même profil, tout le monde nous le dit. Après, c'est une personne avec qui je m'entend super bien à l'extérieur comme sur le terrain et le fait de s'entendre très bien à l'extérieur, ça nous permet encore plus de nous « montrer » sur le terrain.

 

On a beaucoup de communication entre elle et moi et voilà on se donne des petits détails, dans le match ou quand elle me dit : « quand je fais ça, ça veut dire que je vais faire ça » ou « quand tu fais ça, moi ça veut dire je dois faire ça ». Je joue derrière elle et donc du coup il faut que je lui parle beaucoup, et c'est ce qui passe en matche [et] ça se passe super bien.

 

Photo: mhscfoot.com

Hichem Djemai