C'est l'un des nouveaux visages apparus dans le groupe tricolore depuis l'arrivée de Corinne Diacre. Avant les matches amicaux face à l'Angleterre et le Ghana, rencontre avec la défenseure guigampaise Charlotte Lorgeré, qui à 23 ans vit cette convocation en Bleue comme un aboutissement et un nouveau départ, dans sa jeune mais déjà longue carrière.

 

 

Cœurs de Foot – Première question. Vous faites un peu votre « retour » en Bleue, puisque lors de votre première convocation en septembre dernier, il y avait eu cette blessure qui vous avez privé d'une possible première sélection. Est-ce que vous vous attendiez à ce que Corinne Diacre vous rappelle aussi rapidement ?

 

Charlotte Lorgeré – Non, on a aucune certitude. Dans le foot, on a jamais de certitude. Elle m'avait quand même assez rassurée parce que Corinne Diacre m'avait dit que comme elle ne m'avait pas vue, elle me suivrait et qu'il fallait que je me soigne bien et que je reste performante en club.

 

J'étais très contente d'être appelée, c'est comme une seconde chance pour moi. Je vais la prendre comme ma première sélection parce que je n'ai fait que deux jours la première fois, je n'avais rien vécu et rien montré encore. Là, je suis pleinement présente ici, donc je suis très contente.

 

CDF – Et la première fois, vous aviez pu vous entraîner avec l'équipe ?

 

C.L – Oui, j'ai fait deux entraînements. Le premier entraînement, [il y avait] un petit peu d'appréhension forcément mais j'ai tout de suite été mise à l'aise par l'équipe, par le staff. Je me suis mise dans le bain assez facilement. Je suis quelqu'un qui est très ouverte, et ça s'est très bien passé.

 

 

« On joue avec les meilleures joueuses françaises

et pour moi au monde »

 

CDF – Ce sont vos débuts en équipe de France A, mais vous avez connu pas mal de sélections avant, notamment avec les jeunes...

 

C.L – Oui, j'ai fait toutes les sélections avec les jeunes et je suis allée en équipe de France B. L'équipe de France, c'est pas seulement la A, c'est aussi les B, les équipes de jeunes donc voilà c'est une grande famille. C'est vrai que j'ai un petit peu d'expérience au niveau international mais les A c'est vraiment le plus haut niveau et c'est un objectif qu'on a quand on est en équipe de France jeunes et en équipe de France B.

 

 

CDF – Est-ce que vous sentez déjà une différence avec ce que vous avez vécu dans les autres sélections ?

 

C.L – Oui, il y a une différence. Il y a une différence dans tout, en fait. Tout ce qui est [dans] la préparation, l'encadrement, on a les petits soins ici, vraiment. Tout est fait pour qu'on ne s'occupe que du foot, donc on est dans de très bonnes conditions. Et le niveau est forcement plus élevé parce qu'on joue avec les meilleures joueuses françaises et pour moi au monde. Il faut se mettre à la hauteur et prendre vite le rythme. Il faut passer par de bonnes performances en club et jouer le plus possible.

 

CDF – Sur les différences avec vos précédentes expériences en Bleue, c'était aussi pour vous demander si c'est toujours la même émotion quand on est convoquée, comme lors de vos premières convocations en jeunes ?

 

C.L – Ma première sélection, j'avais pleuré. C'était en U16, pour la Nordic Cup, je n'avais pas encore 15 ans. J'étais vraiment toute jeune. Je me souviens qu'on avait reçu la convocation par courrier avec mon père, on l'a ouverte et voilà... A cette époque-là, on ne connaissait pas trop le haut niveau. On ne savait pas trop qu'il y avait une équipe de France, j'étais jeune, il n'y avait pas vraiment de médiatisation.

 

Donc là, j'ai commencé à arriver en équipe de France, et puis j'ai été au pôle France de Clairefontaine, c'est là qu'on est vraiment mise dans le bain. Quand j'ai été appelée pour ma première sélection [en A] j'ai pleuré aussi, très très émue, mais je pense qu'avec tout ce que j'ai vécu, toutes les années que j'ai sacrifié, beaucoup de choses pour le foot, ma passion, c'est tout ça qui est ressorti, pas seulement la sélection.

 

« Grâce à Guingamp, j'ai été en équipe de France B,

et là je suis appelée en équipe de France A donc rien n'est anodin. »

 

CDF – C'est vrai qu'en lisant aussi les messages de félicitations que vous avez pu avoir pour votre convocation en A, je pense à celui de votre coéquipière à Guingamp, Léa Le Garrec, on a senti que pour vous ce n'était pas simplement une fierté mais aussi une forme d'aboutissement, avec des sacrifices qui avaient été fait et que c'était un peu une récompense pour vous.

 

C.L – C'est une récompense mais il faut vite se dire que ce n'est que le début et qu'on n'a encore rien montré. C'est comme-ci on devait tout reprouver et c'est bien, parce que, sans cesse, on se remet en question.

 

C'est ce qui est bien dans le sport de haut niveau parce que c'est toujours très compliqué de se remettre en question, et là de commencer en A, de faire des matches internationaux avec l'équipe de France A, c'est vraiment que l'on a passé un cap et [il] faut vraiment montrer ce qu'on sait faire et qu'on va progresser encore. Je suis jeune, donc je sais que j'ai encore une marge de progression et voilà, [il] faut que je reste sérieuse et il n'y aura pas de souci.

 

CDF – Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de choix difficiles que vous avez eu à faire pour qu'un jour s'ouvre cette porte de l'équipe de France ?

 

C.L – Les choix les plus difficiles c'était de choisir des clubs de haut niveau où je savais que j'avais une forte chance de jouer et que j'allais progresser. Donc j'ai été à Saint-Étienne quand j'ai eu 17 ans, et j'ai fait quatre ans incroyables à Saint-Étienne. Après [l'ASSE], je voulais voir autre chose. Il me manquait quelque chose et il fallait que je change de club pour pouvoir progresser un petit peu plus.

 

Guingamp était intéressé par moi, et c'était une équipe jeune avec des ambitions. Donc, c'était là, le grand pas que j'ai fait, c'était de choisir de retourner en Bretagne, parce que je suis Bretonne, et de retrouver quelques membres de ma famille. C'était le plus grand choix de ma carrière de repartir en Bretagne, alors que c'était pas du tout prévu. Je devais rester dans le sud normalement. Et voilà, c'était [un choix] compliqué, j'ai beaucoup réfléchi avec ma famille et je le regrette pas du tout. Grâce à Guingamp, j'ai été en équipe de France B, et là je suis appelée en équipe de France A donc rien n'est anodin.

 

« [Mes années à Clairefontaine] c'est vraiment là

que j'ai grandi humainement. »

 

 

CDF – Avec l'équipe de France, c'est aussi pour vous un retour à Clairefontaine. Vous aviez dit, il y a quelques temps, que les trois années que vous aviez passé ici [entre 2009 et 2012] avez été importantes, et qu'elles vous avaient aidé à passer des caps dans votre vie. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ?

 

C.L – Oui, déjà parce que j'ai été très loin de ma famille et on restait au quotidien en internat à Clairefontaine. Donc ce n'est pas seulement une étape dans la vie d'un sportif, c'est une étape dans ma vie de femme.

 

On commence à être indépendante, on commence à avoir des responsabilités, c'est vraiment là que j'ai grandi humainement. C'est aussi au niveau du foot, [où] j'ai vraiment progressé. De la première année à la troisième année, il y a eu une énorme progression et j'ai commencé à avoir un bon niveau et être intéressante. J'ai vécu trois belles années, j'ai rencontré plein de gens, j'ai beaucoup voyagé et c'est ça qui m'a permis maintenant d'être bien dans ma tête et bien dans mon corps tout simplement.

 

 

CDF – Vous êtes une jeune joueuse, mais vous avez déjà parcouru un long chemin. Votre premier match en D1, c'était en 2010 [à 15 ans], vous avez plus d'une centaine de matches en première division à votre actif, donc déjà une bonne expérience, au moins en D1.

 

C.L – Oui, ça fait très longtemps que je suis en D1 parce qu'à l'époque il y avait peut-être moins de concurrence, je sais pas. Mais oui, à 15-16 ans, j'étais déjà en D1 et après je ne me suis pas arrêtée donc je suis jeune certes, mais le football c'est pas toute la vie. C'est une vingtaine d'années qu'on joue au foot de haut niveau, et encore. J'ai eu la chance de pouvoir jouer assez tôt en D1 et c'est là que j'ai emmagasiné de l'expérience et c'est peut-être grâce à ça aussi que maintenant, j'ai réussi à franchir un cap en étant en équipe de France A.

 

Je sais que j'ai eu beaucoup de chance de jouer tôt. J'ai joué dans des bons clubs, [et] j'aurais pu aller à Lyon et jouer en équipe U19 ou à Montpellier en U19, mais ça ne m'intéressait pas. Je préférais [être] dans un club où je pouvais jouer en D1, emmagasiner de l'expérience, me surpasser, et pas rester sur le banc quand j'avais plus l'âge de jouer en U19. J'ai privilégié le jeu, [plutôt] que le côté financier ou un petit peu la tranquillité de jouer dans un grand club.

 

 

« [Corinne Diacre] sait dire les bonnes choses

comme les mauvaises »

 

 

CDF – Et pour aller dans votre sens, on peut voir que vous avez joué toutes les minutes de Guingamp la saison dernière, là vous avez aussi joué les six matches depuis le début de saison, donc une grosse régularité.

 

C.L – Oui, je sens que mon corps peut répéter les efforts et je suis quelqu'un qui travaille beaucoup aux entraînements, [et ce] malgré que je travaille à côté du foot. Mais voilà, j'ai réussi à trouver un équilibre, même si ce n'est pas facile tous les jours. Pour l'instant, à Guingamp, on ne peut pas être amenée à ne vivre que du foot, donc je profite au maximum pour avoir une vie sociale à côté.

 

Mais je me sens bien, on a un bon groupe, une bonne équipe. Le principal c'est de jouer en club, de montrer qu'on est performante et voilà.

 

CDF – Corinne Diacre, en plus d'être une ancienne défenseure, votre poste actuel, donne l'impression justement de vouloir ouvrir l'équipe de France à des joueuses qui, comme vous, ne sont pas nécessairement issues de clubs professionnels et qu'elle a envie de voir jouer ?

 

C.L – Oui, elle amène une autre philosophie de jeu. Certes c'est une ancienne défenseure, [mais aussi] elle a toujours joué à Soyaux, elle n'a jamais été dans un « grand club » mais ça ne l'a pas empêchée d'être capitaine en équipe de France et d'avoir plein de sélections en équipe nationale. Elle veut prendre des filles qui jouent en club, qui sont combatives, qui ont un bon état d'esprit, qui veulent mouiller le maillot et bien représenter leur pays.

 

Ce n'est plus avoir un nom, avoir un palmarès, jouer à Lyon ou dans telle grosse écurie, c'est ce que tu montres sur le terrain et en dehors qui est important. C'est ça qu'elle a vraiment voulu mettre en avant. Et même, j'adore comment elle voit le foot, elle est franche, c'est quelqu'un de très droit et sincère et c'est ça qui est bien, elle sait dire les bonnes choses comme les mauvaises. J'aime beaucoup travailler avec elle.

 

 

« Je suis polyvalente,

je m'adapte très vite »

 

 

CDF – Pour finir, on voulait parler également de votre rôle sur le terrain. Vous évoluez en club au poste de défenseure centrale. Mais vous êtes aussi une joueuse dont on loue la polyvalence, que vous êtes capable de jouer sur un côté ou devant la défense. Est-ce que pour vous, défenseure centrale c'est votre poste ou est-ce que vous vous voyez jouer à un autre poste, dans un autre registre ?

 

C.L – C'est une bonne question, qu'on me pose assez souvent. Le poste où j'ai le plus joué, c'est arrière centrale, où j'ai pris mes marques, mais j'ai un potentiel, un gabarit pour jouer à un autre poste. J'ai un gabarit et une corpulence pour jouer sur les côtés, notamment latérale. Et c'est vrai qu'en sélection, je jouais tout le temps latérale [mais] après s'il fallait jouer dans l'axe, il n'y avait pas de souci.

 

A Saint-Étienne, j'ai fait une saison où j'étais 6 [milieu défensive], c'était complètement une autre orientation du corps donc j'ai beaucoup appris en étant 6 la dernière année à Saint-Étienne. A Guingamp, il y avait besoin d'une arrière centrale. Normalement cette année, Sarah M'Barek voulait recruter une défenseure centrale d'expérience mais elle n'a pas réussi à la trouver, parce qu'elle voulait me mettre sur le côté. [Et] en sélection c'est vrai que je suis plus amenée à jouer sur le côté et dans l'axe, c'est des grands gabarits.

 

Mais oui, je suis polyvalente, je m'adapte très vite. En sélection, je sais que Corinne Diacre a été très claire, j'ai été prise pour jouer latérale. Il y a énormément de monde dans l'axe et c'est [plutôt] des grands gabarits, même si pour moi c'est pas forcément un problème pour jouer dans l'axe. Mais voilà, c'est comme ça et puis il y a de très grandes joueuses dans l'axe donc moi ça ne me dérange pas de jouer sur le côté.

 

Après, il faut comprendre que les matches en équipe de France et en club, ce n'est pas du tout la même chose. En club, il y a beaucoup plus de jeu direct, beaucoup plus de contacts, alors qu'en équipe de France, on joue quand même beaucoup plus au ballon, ça fait tourner. [Et] c'est vrai que moi j'adore avoir le ballon et pas courir pour rien, donc ça me dérange pas du tout de jouer dans l'axe en club et sur le côté en équipe de France, il n'y a pas de souci.

 

Hichem Djemai