48 heures avant le 1/8e de finale de Coupe du monde de l'équipe de France face au Brésil au Havre, Eugénie Le Sommer a répondu aux questions des journalistes. Entre les forces et les faiblesses de l'adversaire, la compétition en général, sa condition physique et la vie de groupe, l'attaquante des Bleues a répondu en toute franchise.

 

Journaliste : Eugénie tu avais 9 ans lors de la finale de Coupe du monde masculine entre la France et le Brésil (3-0). Quel souvenir as-tu de ce match, et des autres France - Brésil en Coupe du monde ?

Ca reste un souvenir inoubliable, comme pour beaucoup de Français ! J'ai vibré devant ma télé, j'ai suivi cette Coupe du monde avec beaucoup d'attention. Je suis même sortie après le match, avec mes parents, dans la ville où on vivait. Ca reste un souvenir inoubliable. Même si c'était les hommes et non les femmes, j'étais à fond derrière la France.

 

Journaliste : Et le France - Brésil de la Coupe du monde 2006 (victoire de la France 1-0 en quarts de finale), vous l'avez regardé aussi ?

Oui oui, je m'en rappelle, je l'avais regardé aussi ! Mais je me rappelle surtout de la finale (défaite contre l'Italie 1-1, 5 tab à 3), même si le 1/4 de finale contre le Brésil était un superbe match pour l'équipe de France. Ils n'ont pas gagné cette finale, ça m'a laissé un petit goût d'inachevé, avec en plus cette fin de carrière pour Zinédine Zidane qui n'était pas forcément celle qu'on attendait (exclu de la finale pour avoir assené un coup de tête au défenseur italien Marco Materazzi, qui l'avait provoqué).


Journaliste (Quotidien) : Ce France - Brésil à venir pour vous est une affiche presque idéale, compte tenu de tout ce que ça représente dans l'histoire de la Coupe du monde. Est-ce qu'on peut dire que cette Coupe du monde féminine commence pour vous dimanche, et que la phase finale n'était que "l'apéro" ?

(rires) Non je ne pense pas ! Les matches de poules, il fallait les jouer !  Notre Coupe du monde a débuté le 7 juin. Et si on n'avait pas gagné nos trois matches de poules, on ne serait pas là à préparer ce France - Brésil. Mais je vais quand même dire que c'est un nouveau tournoi qui commence, même s'il ne faut pas oublier ce qui a été fait avant. Ca n'a pas été facile de se qualifier pour les 1/8e de finale. C'est un beau 1/8e qui se profile pour nous !

 

"Par rapport à la défense du Brésil, je dirais que c'est un peu son point faible"

 


Journaliste (Sud-Ouest) : On parle beaucoup des qualités offensives du Brésil, mais est-ce que vous pouvez nous parler de sa défense, et plus spécifiquement de Kathellen Sousa, la défenseure des Girondins de Bordeaux, équipe contre laquelle vous aviez marqué pas mal de buts cette saison en Division 1 ?

C'est vrai qu'on parle pas mal de l'attaque du Brésil, mais par rapport à sa défense, je dirais que c'est un peu son point faible. Contre l'Australie en phases de poules, elles menaient 2-0 et elles ont finalement perdu 2-3. Ca montre aussi une certaine fébrilité. Mais je sais aussi qu'elles sont capables de bien défendre si elles sont concentrées sur ça. Il faudra aussi peut-être exploiter ces failles-là.

Sur Kathellen Sousa : oui, j'ai joué plusieurs fois contre elle avec Lyon. Aujourd'hui, elle joue avec le Brésil et ce n'est pas du tout la même équipe. J'ai plus envie de parler du Brésil.

 

Journaliste (L'équipe) : Comment avez-vous vécu la soirée de jeudi ? Quel match avez-vous regardé entre Etats-Unis - Suède (2-0) et Thaïlande - Chili (0-2) et comment avez-vous accueilli le fait que les résultats de ces deux matches a officialisé votre 1/8e de finale contre le Brésil ?

Moi j'ai plutôt regardé Etats-Unis - Suède, mais en fond sonore car je jouais en même temps à la belote avec mes coéquipières (rires). C'est vrai qu'on attendait forcément contre qui on allait jouer en 1/8e. On ressentait un peu d'impatience car c'était les derniers matches de phases de poules. Mais on ne se faisait pas trop de "plans en tête", comme on ne connaissait pas encore notre futur adversaire.

Ce que je peux dire c'est que le Brésil est la meilleure équipe des meilleurs troisièmes, de loin. Je pense qu'elles auraient même pu terminer premières de leur groupe. On va affronter une grande équipe mais on est préparées pour ça. Et après tout, il faut battre toutes les équipes pour être championnes du monde.

 

Journaliste : A propos des phases de poules, quelles équipes vous ont le plus impressionnée ? Le moins ? Quel est votre bilan de ce premier tour ?

Tous les grands favoris ont été au rendez-vous de ce premier tour. Les Etats-Unis bien sûr, qui ont montré beaucoup de qualités. Je pense aussi aux huit équipes européennes qualifiées pour les 1/8e de finale. C'est beaucoup ! Voilà, tous les favoris ont été au rendez-vous.

 

Journaliste (RMC Sport) : A titre personnel, vous êtes sous le coup d'un carton jaune (reçu lors de la victoire 2-1 contre la Norvège, ndlr). Si vous en prenez un contre le Brésil, vous serez suspendue pour un éventuel quart de finale. Vous y pensez ? C'est quelque chose dont vous avez parlé avec la sélectionneuse Corinne Diacre ? Est-ce que vous pourriez faire l'impasse contre le Brésil ?

Corinne Diacre ne m'en a pas parlé. Ce sera à moi de faire attention. Même si un carton jaune est plus préjudiciable pour une défenseure. Ca ne va pas m'empêcher de jouer. Je pense que j'ai assez d'expérience pour pouvoir gérer ça. A moi d'être intelligente pour gérer ce carton jaune.

 

"Marta, c'est une joueuse dont il faudra se méfier, et qui peut être décisive à tout moment"

 

Journaliste (L'équipe) : Comment vis-tu cette Coupe du monde ? Est-ce que tu as le temps de profiter ? Ou tu es vraiment dans ta bulle et tu ne te rends pas compte de l'engouement ?

C'est vrai qu'on est plutôt dans notre bulle. L'engouement, on le ressent surtout lors de nos matches, et quand on arrive au stade. Un petit peu aux entraînements aussi. Mais on est suffisamment dans notre bulle pour ne pas trop se rendre compte de l'engouement. Ce n'est pas plus mal. Mais je suis contente de ça, que les stades soient pleins, que le public soit derrière nous. C'est vraiment une force et ça va nous aider à aller plus loin.

On en a parlé surtout après le premier match contre la Corée du Sud au Parc des Princes (victoire 4-0). C'était une soirée magique pour toute l'équipe. Ce moment restera gravé dans toutes nos mémoires.


Journaliste (France Bleu) : Est-ce qu'avec les joueuses brésiliennes il faut vraiment s'attendre à des petits ponts, des roulettes, des gestes techniques de leur part. Est-ce que c'est ça aussi chez les femmes ?

C'est vrai que le Brésil féminin et masculin se ressemblent un peu. C'est une équipe performante, qui compte des joueuses de talent. Après je ne sais pas s'il faut s'attendre à des gestes techniques. Elles sont aussi efficaces dans ce qu'elles font. Le Brésil c'est avant tout une force offensive, avec parfois des gestes qui peuvent être spectaculaires. Mais le plus important dans le football, c'est de gagner des matches !

 

Journaliste (RTL) : Vous aurez face à vous un des grands noms du football féminin : Marta. Que vous inspire cette joueuse ?

C'est une légende, tout simplement. Elle a une carrière extraordinaire, une belle longévité (elle dispute en ce moment sa 5e Coupe du monde à 33 ans, ndlr). Partout où elle est passée, elle a marqué les esprits et elle a été très performante. Elle l'est encore. Donc c'est une joueuse dont il faudra forcément se méfier, et qui peut être décisive à tout moment.

 

Journaliste (O Globo) : Pouvez-vous nous parler un peu de Cristiane également ? Elle est jusqu'à maintenant la meilleure buteuse de la sélection brésilienne (94 buts en 140 sélections).

Je l'ai côtoyée dans le championnat de France quand elle jouait au Paris Saint-Germain. Elle a beaucoup de qualités, et est performante avec le Brésil. Elle est, avec Marta, la joueuse qui peut faire la différence et débloquer des situations. Toutes les deux sont imprévisibles. On devra faire attention à elles et essayer de les contrer au maximum, de les empêcher d'avoir le ballon.

 

Journaliste (Europe 1) : Vous avez dit qu'une nouvelle compétition commençait avec les phases finales. Comment gérez-vous cette pression ? Vous, vous avez de l'expérience, mais pour les joueuses plus jeunes, est-ce que vous discutez avec elles ?

La plupart des joueuses du groupe France ont déjà vécu ce genre de matches. On a des joueuses championnes du monde en U17, ou qui ont joué la Coupe du monde U20. Elles connaissent ces matches à élimination directe. Là, soit tu gagnes, soit tu rentres à la maison. A nous de gagner dimanche pour continuer l'aventure !

 

"Contre le Nigeria on était surtout concentrées sur notre assise défensive"

 

Journaliste (Ouest France) : Lors de la victoire contre le Nigeria (1-0), ce qui avait péché c'était la finition, l'efficacité offensive. Avez-vous une explication à ça ? En avez-vous reparlé entre vous ?

Oui on en a reparlé. Contre le Nigeria on était surtout concentrées sur notre assise défensive. Après, on aurait pu être meilleures offensivement et on peut toujours s'améliorer. Mais les consignes étaient surtout axées sur la défense. On voulait retrouver notre bloc, ce qu'on a réussi à faire. Les Nigérianes n'ont pas réussi à se créer des occasions. C'est bien pour la suite, mais maintenant il faut avoir plus d'allant offensif et de créativité pour embêter les Brésiliennes.

 

Journaliste (L'équipe) : Vous avez eu beaucoup de jours entre votre dernier match de poules et ce 1/8e de finale dimanche. Comment occupez-vous ce temps-là ? Ne trouvez-vous pas le temps un peu long ?

Non ça va. On a eu beaucoup de temps mais c'est important pour la récupération. Et pour bien préparer ce 1/8e de finale. Après, les journées se ressemblent. On ne s'ennuie pas, entre les entraînements, les réunions techniques. Et on arrive à trouver des petits moments pour être entre nous. Le plus important, c'est de se concentrer pour le match contre le Brésil. On est focalisées sur nous.

 

Journaliste (L'équipe) : Corinne Diacre veut vous voir évoluer sur le côté gauche. Vous le faîtes depuis le début de la compétition. A t-on une chance de vous voir évoluer dans l'axe ? Qu'est-ce que vous pourriez apporter si vous jouez davantage dans l'axe ?

(rires) Ce n'est pas du tout à moi qu'il faut poser cette question. La coach vous répondra mieux que moi. Je joue là où on me met. Je suis une joueuse polyvalente, qui peut jouer sur tous les postes offensifs. Pour l'instant je joue à gauche et j'essaie d'apporter toutes mes qualités à l'équipe sur ce côté gauche.

 

Journaliste (L'équipe) : On ne se rend pas bien compte de ce que vous vivez en ce moment. Pouvez-vous nous faire rentrer dans votre bulle et nous dire comment ça se passe dans le groupe ?

(rires) Le groupe vit bien ! On a eu récemment une après-midi libre. Ca nous a permis de nous aérer un petit peu et de reprendre de l'énergie pour notre 1/8e de finale. On dispose aussi d'une "salle de vie" par exemple, on peut se détendre, jouer aux cartes, à la Playstation etc... Chacune fait un peu ce qu'elle veut. Après il y a entraînement tous les jours, mais en dehors on arrive à s'aérer l'esprit. (sourire) Mon fiancé est aussi venu me voir et on a passé l'après-midi ensemble.

 

"Ce France - Brésil pourrait nous lancer pour la suite de la compétition"

 

Journaliste (RMC) : Il y a un an Eugénie, il y a eu le 1/8e de finale de Coupe du monde masculine France - Argentine. Ce match avait été fondateur pour les joueurs de Didier Deschamps. Avez-vous le sentiment que ce France-Brésil peut être fondateur pour vous aussi ?

Oui, ça peut être un élément déclencheur. Quand on passe les phases de poules, on ne sait pas à quoi s'attendre après. Là on est mises dans le grand bain tout de suite face au Brésil. Si on avait joué une équipe un peu moins cotée, ça aurait été différent dans nos têtes. Aujourd'hui on est focalisées comme si on jouait "un grand", et c'est le cas. Le Brésil fait partie des favoris de cette Coupe du monde. Elles auraient pu terminer à la première place de leur poule. Ce match pourrait en effet nous lancer pour la suite de la compétition.

 

Journaliste : Que ressentez-vous, vous et vos partenaires, quand vous voyez que les spectateurs, normands et français, s'arrachent les derniers billets qui traînent ? Il y a quelques années en arrière, ça n'aurait pas été le cas ?

Ca fait plaisir ! Et ça montre tout l'engouement qu'il y a autour de notre match et de l'équipe. Même si j'adore le Stade Océane du Havre, je regrette qu'il ne soit pas plus grand ! C'est le stade le plus petit dans lequel on a joué pour le moment. Mais je suis sûre qu'il y aura une belle ambiance dedans. C'est dommage pour ceux qui n'ont pas pu avoir de billets. Mais je suis sûre qu'ils nous suivront devant leur télé. Le plus important, c'est qu'il y ait une bonne ambiance dans le stade et qu'on gagne ce match.

 

Journaliste : C'est la troisième fois que vous allez jouer dans ce Stade Océane. Les deux premières se sont très bien passées (victoires contre le Brésil et les Etats-Unis sur le score de 3-1, ndlr). Ce sont des beaux souvenirs ce Stade Océane jusqu'à présent ?

Oui, c'est un stade qui nous réussit bien. J'espère que ce sera le cas aussi dimanche. Le public du Havre a toujours été derrière nous, nous a toujours soutenues. A nous de nous servir de ça pour continuer à être invaincues dans ce stade !


Journaliste : Il y a eu pas mal de pépins physiques pour les Lyonnaises en début de préparation, dont vous. Où en êtes-vous à titre personnel ?

A titre personnel, je me sens bien. C'est vrai que ça n'a pas été évident de me blesser en début de préparation. Ces petits pépins ont tronqué un peu ma préparation mais aujourd'hui j'ai eu le temps de récupérer et le fait que j'aie eu plus de temps pour récupéré après le dernier match va me permettre d'être en forme dimanche.

 

Journaliste : Dans une récente interview, votre mère avait confié que votre carrière était une sorte de revanche pour elle et pour toutes ces filles qui avaient des difficultés à jouer au football. Qu'en pensez-vous ?

C'est vrai que ça a été difficile pour ma mère d'accepter que je fasse du foot. Aujourd'hui oui, je pense que c'est une revanche pour elle et pour tout ce qu'elle a pu vivre quand elle a elle-même joué au football. Je fais partie d'une autre génération, et quelque part je pense qu'elle rêve aussi à travers moi. Elle aurait aimé vivre ce que je vis aujourd'hui. Le plus important, c'était qu'elle aie accepté de me mettre au foot et aujourd'hui je suis fière de ma carrière et de ce que ma mère a pu m'apporter.

Arnaud Le Quéré