Après la victoire des États-Unis hier en finale de la Coupe du Monde, l’entrée de Gianni Infantino président de la FIFA pour la remise du trophée a été l’occasion de sifflets nourris et d’un slogan « Equal Pay » (Revenus égaux) scandé notamment depuis les tribunes occupées par les supporters américains. Un pied de nez dans la lignée d’une Coupe du Monde où les joueuses américaines, Megan Rapinoe en tête, ont rarement ménagé les instances internationales du football.
Il y avait forcément une part de théâtralité dans ce qu'il s'est passé hier au Parc OL de Lyon. Alors que Gianni Infantino et Emmanuel Macron entraient sur la pelouse pour la cérémonie de remise des trophées de la Coupe du Monde, une partie importante du public s'est mise à siffler.
Comme en 2015
Première intuition de nombreux journalistes (français), un énième signe de l'impopularité du président Macron, chahuté depuis de longs mois par le mouvement des Gilets Jaunes. Pourtant, rien de tel. Comme en 2015 lors de la finale du Mondial à Vancouver, ce sont bien Gianni Infantino et la FIFA qui étaient visées. À l'époque Sepp Blatter était, pour quelques semaines encore, le président d'une instance tout puissante mais qui semblait proche de s'écrouler sous le poids des scandales.
Les supporters venus des États-Unis avaient largement contribué à cet atmosphère en fin de match, alors que Vancouver est proche de la frontière avec le Nord-ouest étasunien, l'un des poumons du soccer dans le pays.Malgré la distance plus importante avec la France, les supporters américains étaient de nouveau en première ligne pour "accueillir" Gianni Infantino à leur manière. Des sifflets puis ce slogan « equal pay » (revenus égaux) qui a résonné dans les tribunes du Parc OL.
Un triomphe américain qui n’efface pas les sujets de conflit
Un cran au-dessus donc dans la contestation des instances internationales du football, mais qui dans le même temps aligne l'attitude des supporters US sur celle de leur équipe, aujourd'hui en conflit avec sa fédération (USSF), justement sur le terrain des discriminations et de l'égalité salariale.
La victoire des États-Unis se célèbre donc avec des feux d’artifice et des paillettes mais aussi avec une détermination à continuer le combat, non pas uniquement aux États-Unis mais pour l'ensemble des joueuses, avec le slogan « U-S-A » remplacée par « E-qual-pay »
Symbole de cette fronde, Megan Rapinoe remporte le titre de meilleure joueuse du Mondial. Pendant le tournoi, elle a occupé le terrain aussi bien sur les pelouses qu'en dehors, à l'image de la conférence de presse donnée samedi au Parc OL, avant la finale où elle alternait les réponses sur la rencontre à venir et sur la situation du football féminin.
La FIFA en avait bien sûr pris pour son grade, notamment sur l'écart grandissant entre les prize money des Coupes du Monde masculine et féminine, alors que l'écart, de plus de 300 millions d'euros semble déjà abyssal (30 millions en 2019, contre 400 millions pour la Coupe du Monde 2018 en Russie).
Le volontarisme de Gianni Infantino n’ a pas encore convaincu
Une forme de combat de boxe par conférences de presse interposées, puisque la veille, dans le même lieu, Gianni Infantino avait déroulé ses propositions pour l'après-Mondial: Une Coupe du Monde des Clubs, une Ligue Mondiale, une Coupe du Monde à 32 équipes...
Sur le plan financier, ce programme s'accompagne d'une formule presque magique: « doubler ». Doubler la mise pour les fonds alloués par la FIFA au football féminin (1 milliard de dollars au lieu de 500 millions) et doubler le prize money de la Coupe du Monde. 15 millions de dollars en 2015, 30 en 2019, et 60 millions annoncés pour 2023.
Des sommes qui impressionnent, mais il faudrait que la FIFA double le prize money de chaque Coupe du Monde jusqu'en 2035, pour que l'on se rapproche des niveaux actuels de primes distribuées chez les garçons (440 millions de dollars annoncés pour la Coupe du Monde 2022, en prenant en compte qu'elle se joue à 32 équipes, contre 24 chez les filles).
Dans son explication, Gianni Infantino avait mis en avant l'idée qu'il préférait que l'argent investi par la FIFA spécifiquement pour le football féminin (deux fois 500 millions de dollars) serve plutôt à financer le football de base et la formation (grassroots) plutôt que d'accélérer l'augmentation du prize money des Mondiaux.
Évolution ou changement plus profond ?
Le lendemain, Megan Rapinoe posait cette question: « Allez-vous laisser l'écart grandir ? » estimant que c'était une « question de volonté » et que cette situation renvoyait selon elle, à des traits plus généraux du football féminin, notamment celui de devoir rappeler en permanence « la qualité du football pratiqué » et que les joueuses « méritent que plus de moyens soient investis ».
Cette remise de trophée a donc participé de cette confrontation de deux approches, alors que la Coupe du Monde a été l'occasion d'un rapprochement de l'autre côté de l'Atlantique. Selon le Wall Street Journal, les avocats des internationales américaines auraient récemment pris contact avec la fédération et organiser une médiation qui permette de régler les différends suite à la plainte pour discrimination déposée par 28 internationales étasuniennes contre l'USSF.
Car si le Mondial a offert une tribune formidable, le "retour à la normale" laissera place à moins d'échos pour des déclarations fracassantes, aussi pertinentes soient-elles. Cette victoire des États-Unis devrait pourtant être de nature à prolonger le momentum de ces dernières semaines. Après avoir soulevé le trophée, Megan Rapinoe exprimait le sentiment que son équipe « était au coeur d’un monde en train de changer autour d'elles ». Une perception partagée par Tobin Heath qui espère que cela puisse être le « début de quelque chose d'énorme et un [qui permette] un changement culturel ».
Des joueuses préoccupées par l’avenir de leur sport
Un univers du football féminin où l'audace des championnes du monde américaines côtoit les combats en apparence plus modestes dans d'autres régions du monde pour que le football féminin n'existe pas uniquement à l'occasion des grands tournois.
Quelque soit la route choisie pour répondre à ces enjeux, cet épisode montre la volonté des joueuses, des supporters d'être actrices et acteurs d'un changement qui n'est plus simplement souhaité mais qui leur semble aussi accessible. Un enthousiasme potentiellement contagieux, dopé par une Coupe du Monde dont la qualité de jeu a été largement saluée, invitant naturellement à se montrer ambitieux pour l'avenir.
Photo: Getty Images / FIFA
Hichem Djemai