Rien ne va plus dans le championnat américain, avec l’ensemble des matches du week-end annulés, et la principale responsable de la ligue, obligée de présenter sa démission vendredi. La déflagration s’est produite à la suite d’une enquête menée par The Athletic, et qui met en cause l’entraîneur le plus titré depuis la création de la NWSL (National Women’s Soccer League) en 2011...

 

Jusqu’au 30 septembre dernier, Paul Riley entraînait l’équipe du North Carolina Courage, champion de NWSL à deux reprises (2018 et 2019) sous les ordres de Riley. Avant le déménagement de la franchise en Caroline du Nord, il avait également remporté le titre en 2016 à la tête de l’équipe du Western New York Flash.

Suite à la parution de l’enquête de The Athletic, Paul Riley a été licencié jeudi par le Courage, le jour même de la parution de l’article. Sa licence d’entraîneur a également été révoquée par la fédération des États-Unis.

Le lendemain Lisa Baird annonçait que les matches du week-end en NWSL n’auraient pas lieu pour « donner à tout le monde l’occasion de méditer sur la situation » après « une semaine et une saison qui a été extrêmement traumatisante pour les joueuses et les staffs ». Une déclaration qui sera suivie quelques heures plus tard par sa démission de son poste de dirigeante de la NWSL.

 

À mots couverts

Les faits reprochés à Paul Riley remontent principalement à la période au cours de laquelle il entraînait les Portland Thorns, une autre franchise emblématique de la NWSL. À l’issue de la saison 2015, alors que les résultats sont décevants, Paul Riley était congédié par la direction des Thorns.

Officiellement, l’entraîneur anglais, aujourd’hui âgé de 58 ans, avait été « remercié », suite à des résultats décevants. Pourtant, ce sont d’autres éléments qui auraient conduit à son départ. Suite à l’article paru sur le site de The Athletic, les Portland Thorns ont publié un communiqué expliquant que Paul Riley avait, à l’époque, été « placé en congé administratif ».

L’enquête qui avait suivi n’avait « montré aucun acte illégal », mais avait aussi « mis en évidence des violations manifestes des règles de l’entreprise ». C’est à ce titre que Paul Riley aurait été démis de ses fonctions, avec les conclusions de l’enquête interne qui auraient été ensuite transmises à la direction de la NWSL.

 

« Des rapports sexuels forcés »

Derrière cette communication prudente, sont notamment évoquées des pratiques abusives vis-à-vis de joueuses de son effectif. Deux anciennes des Thorns, Sinead Farrelly et Meleana « Mana » Shim ont témoigné dans The Athletic pour évoquer cette période. Sinead Farrelly a notamment expliqué s’être sentie « sous l’emprise » de Paul Riley et s’est sentie plusieurs fois « contrainte » par Paul Riley à « des rapports [et actes] sexuels forcés ».

Des situations qui seraient également produites lorsque Paul Riley entraînait Sinead Farrelly au Philadelphia Independance en 2011. De son côté, Paul Riley a réfuté l’ensemble des faits évoqués dans The Athletic, les jugeant « complètement faux ».

Au-delà des actes relatés dans l’enquête de The Athletic, les regards des joueuses se sont tournés vers la NWSL et la direction de la ligue pour avoir intentionnellement dissimulé des informations à ce sujet et avoir permis à Paul Riley de continuer à entraîner en NWSL, malgré les accusations qui pesaient sur lui dès 2015.

Selon The Athletic, les abus de Paul Riley se seraient reproduits dans les cinq franchises dans lesquelles l’entraîneur a officié depuis 2010, se basant sur les témoignages « de plus d’une douzaine de joueuses » et « de dix sources » parties prenantes dans le football féminin américain.

 

La responsabilité de la ligue

Parmi les joueuses qui ont pris la parole sur le sujet, Alex Morgan a notamment dénoncé la manière dont la NWSL a choisi de traiter ces situations. Une méthode qui selon elle « échoue à protéger les joueuses » évoluant au sein de la ligue, face aux « abus » dont elles peuvent être victimes. La double-championne américaine évoluait elle aussi aux Portland Thorns entre 2013 et 2015 et donc pendant le mandat de Paul Riley, sur les saisons 2014 et 2015.

L’emblématique attaquante étasunienne a notamment publié sur les réseaux sociaux un échange de mails entre Sinead Farrelly et Lisa Baird au printemps dernier dans lequel Farrelly évoquait « le comportement extrêmement inapproprié » de Paul Riley en 2015 et des commentaires qui pouvaient s’apparenter à une forme de harcèlement sexuel envers elle et d’autres joueuses des Thorns.

La suite de l’échange illustre le fossé entre les deux interlocutrices. D’un côté, Sinead Farrelly qui s’inquiète de l’absence d’enquête de la part de la NWSL sur ces accusations, ou encore le fait que Paul Riley « continue à entraîner en NWSL ». De l’autre, Lisa Baird lui indique qu’une enquête a bien eu lieu, mais qu’elle ne peut lui fournir des détails sur ses conclusions.

Un échange qui indique alors que la ligue n’a alors aucun grief à l’endroit de Paul Riley tout en affirmant que « la NWSL prend très au sérieux la sécurité de ses joueuses » et s’engage à ce qu’elles « puissent bénéficier d’un environnement sain et sûr dans lequel elles pourront évoluer ». Cette position vole donc en éclats quelques mois plus tard, entraînant la démission de la principale dirigeante de la ligue, Lisa Baird.

 

Changement(s) de discours

Si cette affaire met la NWSL en grande difficulté, elle illustre également l’évolution en cours dans le traitement des affaires de harcèlement ou d’abus sexuels au sein des différentes franchises de la ligue américaine. Au mois d’avril dernier, la NWSL avait publié un document de 16 pages détaillant la politique de la ligue « contre le harcèlement » et « pour un environnement de travail sûr ».

C’était justement suite à la mise en place de cette nouvelle politique que Sinead Farrelly avait contacté Lisa Baird et la direction de la NWSL le 28 avril dernier, afin de s’assurer que les actes soient en cohérence avec les nouvelles ambitions affichées.

Parmi les éléments qui avaient concouru à la mise en place de cette politique « anti-harcèlement », l’affaire qui avait secoué les Utah Royals à l’été 2020. Le propriétaire Dell Loy Hansen est également actionnaire principal du Real Salt Lake City, franchise de MLS masculine.

Lui et le management des deux franchises avaient été alors visés par des accusations de propos racistes, sexistes. Parmi les exemples évoqués, le choix de n’employer que des joueuses « sexy » dans la promotion du club, mais d’éviter de mettre en avant les performances de celles jugées « trop moches », une catégorie qui inclurait notamment la double-championne du monde Becky Sauerbrunn.

Suite à ces révélations, la NWSL et la MLS avaient annoncé leur volonté d’obliger Dell Loy Hansen a céder ses parts détenus dans le capital des Utah Royals et du Real Salt Lake City, un processus toujours en cours. En attendant que les Royals soient définitivement revendus, la franchise de NWSL a été relocalisée temporairement à Kansas City, avec des nouveaux propriétaires et ce, au moins jusqu’en 2023.

 

Affaires en série

Depuis la publication de cette nouvelle politique « anti-harcèlement » en avril 2021, plusieurs enquêtes ont été ouvertes sur la base des recommandations du document. Récemment, l’entraîneur du Washington Spirit, Richie Burke, a été suspendu au mois d’août puis son licenciement confirmé par la NWSL le 28 septembre, soit deux jours avant la parution de l’enquête de The Athletic. La procédure visant Richie Burke avait été lancée après des accusations de harcèlement, relayées par le Washington Post, évoquant « un environnement de travail toxique » pour les joueuses de l’effectif.

Toujours selon le Post, le départ de Farid Benstiti de l’OL Reign en juillet dernier ne serait pas uniquement lié aux mauvais résultats enregistrés par la franchise du Nord-Ouest, mais également suite à une plainte pour « agression verbale » de la part d’une joueuse de l’effectif auprès de la direction du Reign.

C’est également le non-respect de ces mesures « anti-harcèlement » qui aurait conduit au remerciement d’Alison LaHue, alors directrice générale du NJ/NY Gotham FC, club dans lequel évolue actuellement Gaëtane Thiney. Depuis la franchise du New Jersey a également vécu un changement d’entraîneur au mois d’août…

Cette nouvelle stratégie avait également été invoquée dans une enquête menée au printemps dernier après que Sarah Gorden, joueuse de Chicago Red Stars, a fait état d’un traitement raciste de la part d’un agent de sécurité lors d’un match de championnat à Houston. L’enquête qui avait suivi, n’avait abouti à aucune sanction de la part de la NWSL.

 

Des évolutions attendues par les joueuses

Les attentes et les critiques exprimées par les joueuses sur ces questions illustrent donc ce sentiment qu’il est désormais possible d’en parler et d’agir. Un volontarisme qui transparaît notamment dans la prise de positon de la NWSLPA, le syndicat des joueuses de NWSL. Le sport américain reste encore sous le choc des révélations d’abus sexuels commis dans de nombreuses disciplines, avec le cas le plus emblématique de la gymnastique américaine, et de Larry Nassar accusé par plus de 150 athlètes, souvent mineures à l'époque des faits, couvrant une période d’une quinzaine d’années.

Nassar a été condamné à plusieurs reprises en 2017 et 2018, des peines qui devraient entraîner son emprisonnement à vie. Cette affaire continue aujourd’hui de secouer le pays, comme en témoignent les auditions récentes à ce sujet organisées par le Sénat américain.

La NWSL est à son tour secouée par l’onde de choc. Reste désormais à savoir quels effets peut produire cette crise et comment le championnat américain et ses joueuses entendent se préserver des pratiques de harcèlement et d’abus de la part de personnes en position d’autorité. Un enjeu qui semble aujourd’hui majeur dans l’évolution des pratiques de management sportif, notamment dans les chemins qui mènent vers le haut niveau.

Hichem Djemai