Partie à l'étranger pour se ressourcer et retrouver un nouvel élan, Méline Gérard (Betis Séville) s'est confiée ce lundi, lors de notre Live Facebook #3 sur son aventure en Espagne avec le Betis, sa reconversion après sa carrière de footballeuse, l'équipe de France ou encore son poste de gardienne, très souvent critiqué.

 

Coeurs de Foot - Déjà comment vas-tu Méline ? Comment se passe ton confinement ? Est-ce que tu es restée en Espagne ?

Méline Gérard - Déjà par rapport au confinement - parce que c'est une situation exceptionnelle qu'on vit depuis plusieurs semaines - on est restés en Espagne, le club a préféré qu'on y reste et je pense que pour des mesures de sécurités [sanitaires] c'était préférable. Surtout qu'on ne sait pas encore ce qu'il va en être pour les saisons (arrêt et reprise, ndlr). De mon côté ça se passe plutôt bien, c'est vrai que je ne vis pas trop mal la situation, je suis en bonne santé, ma famille aussi donc je m'occupe mes journées, beaucoup avec le sport et je suis beaucoup sur mon téléphone aussi pour appeler la famille et les proches. Mais ce n'est pas quelque chose de catastrophique [de ne pas pouvoir les voir], c'est vrai qu'ici en Espagne on est plutôt bien.

Le club nous a conseillé de rester plutôt en ville, mais après je n'en ai pas débattu avec eux parce que je pensais que c'était un peu trop risqué, surtout que la France est aussi un pays très touché par le virus, donc je suis restée, c'est le choix que j'ai fait.

 

CDF - Est-ce que tu arrives à vivre du football à l'heure actuelle ?

M. G. - Oui ! Moi je vis du football en Espagne et pour être tout à fait honnête, pas comme je vivais en France (moins bien, ndlr). Les moyens sont différents et comme je l'ai dit, je revenais d'une blessure et j'étais inconnue en Espagne, donc ça a été plus compliqué [de me faire une image]. Mais je vis du foot correctement, parce qu'ici le SMIC est moins important, donc oui j'en vis.

 

CDF - L'Espagne avec certains gros clubs (Madrid, Barcelone...) et les droits TV doivent amasser plus d'argent que la France pourtant ?

M. G. - Ça dépend des clubs mais aussi des budgets. C'est vrai que le Betis, niveau budget, sont quand même un peu en dessous. Donc voilà ça dépend un petit peu des clubs même si là, c'est un train de monter en puissance et il y a de plus en plus de clubs qui injectent de l'argent dans le football féminin, notamment le Real [Madrid (rachat du CD Tacon, ndlr)], qui va s'inscrire l'année prochaine [en Liga Iberdrola] et qui a un budget vraiment très très intéressant.

 

CDF - La reconversion en tête ? 

M. G. - Oui, j'y ai beaucoup pensé quand j'ai été blessée à Montpellier. J'y étais un petit peu obligée de toute façon. C'est vrai que je prends de l'âge, mais ça fait très longtemps que je passe des diplômes d'entraîneur. 

Au début, je me suis beaucoup centrée sur l'entraînement des gardiens de but et depuis l'année dernière, en passant le BEF (Brevet d'Entraîneur de Football) sur un entraînement collectif qui a été comme une révélation. C'est vraiment ce que j'ai envie de faire, mais je ne pense pas laisser de côté l'entraînement des gardiens. Je suis quasiment sûr que c'est sur quoi je vais me tourner après ma carrière. Je ne sais pas encore combien d'années je me laisse à jouer. Je sens aujourd'hui qu'avec le confinement, ça ne manque énormément, mais je ne vais pas me projeter dans dix ans, loin de là. Déjà trois [années], ça me paraît un peu loin mais je pense que mon après-carrière sera centrée sur de l'entraînement.

CDF - Est-ce que c'est vrai qu'on apprend plus, mieux et plus vite avec Lyon ? 
M. G. - C'est sûr que j'ai été entourée des meilleures et j'ai eu aussi la chance d'avoir Gérard Prêcheur en tant que coach. C'est un tacticien hors pair, j'ai énormément appris avec lui, être entourée par les joueuses avec lesquelles je l'ai été, Camille [Abily], Eugénie [Le Sommer], Ada [Hegerberg], Cocotte [Corine Petit], Wendie [Renard]... 

C'est vrai que j'ai énormément appris là-bas, ça a été aussi mes premières années en tant que professionnelle donc forcément, mon monde a changé et s'est complètement transformé. J'ai été aussi avec l'équipe de France, donc c'est trois années à Lyon ont été vraiment plus qu'enrichissante.

CDF - Comment ça se passe au Betis ?

M. G. - Il y a énormément de changement, c'est vrai que j'ai changé de pays et de ligue. On m'avait dit, avant de partir que le championnat était beaucoup plus homogène, que le niveau s'était amélioré etc C'est vrai que je me retrouve un peu plus ici [en Espagne], par rapport à mes qualités, j'ai l'impression d'être beaucoup plus mise en avant. C'est vrai que les gardiennes sont énormément sollicitées dans ce championnat, elles ont énormément de ballons parce que c'est beaucoup plus ouvert [dans les matches], mais défensivement, c'est un cran en dessous par contre. En revanche niveau tactique, c'est beaucoup plus poussé et la gardienne joue un rôle essentiel dans le collectif, beaucoup plus qu'en France. Par rapport à mes qualités, je suis beaucoup plus mise en avant, c'est plus mon jeu. J'ai retrouvé du temps de jeu parce que j'ai joué quasiment tous les matches. Donc forcément, j'ai retrouvé de la confiance, j'ai progressé aussi et le fait de m'être détachée un petit peu de cette étiquette d'internationale, ce statut international et de repartir à zéro m'a fait le plus grand bien. J'ai repris toutes mes capacités et voir plus encore. J'ai vécu une saison vraiment exceptionnelle avec le Betis, sur le plan individuel parce que collectivement, ça a été un peu plus compliqué.


CDF - L'affluence records des matches féminins en Espagne
M. G. - J'ai été surprise ! Surprise de voir autant de monde qui viennent voir les matches. Au Betis, c'est particulier parce que c'est vraiment un club avec énormément de ferveur, notamment du côté des supporters. A chaque match - il n'y a qu'une petit tribune - mais elle est pleine et ça a été encore mieux quand on a joué les gros. 

Très surprise de l'affluence ici, dans le bon sens et c'est vraiment agréable parce que tout le monde aime jouer avec un public. J'ai été agréablement surprise et je trouve que c'est vraiment bien que ça se passe comme ça.


CDF - Quel est l'arrêt mémorable de ta carrière ?

M. G. - Je ne sais pas parce que je suis en train de penser aux trophées que j'ai gagné. En fait, je vais plutôt parler d'un [arrêt] de cette année, qui m'a un peu surpris moi même où je me souviens de m'être relevée et dit : "Oula qu'est-ce qui s'est passé (sourire)". C'était contre l'Espanyol Barcelone, on avait fait match nul. J'avais fait une belle envolée sur mon côté droit et c'est vrai qu'il m'est resté un peu en tête parce que j'en avais parlé à mon frère après et j'avais dit "Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je me suis envolée, j'ai eu des jambes de feu". C'est peut-être celui là qui me vient en tête. 

CDF - Un retour à l'OL ? 

M. G. - C'est marrant parce qu'on en discute souvent en rigolant avec Camille [Abily]. Actuellement, pour être très honnête, ce n'est pas dans mes projets, en tout cas, pour y jouer. Je ne suis fermée à aucune proposition mais pour l'instant, j'ai vraiment envie de rester en Espagne. 

Tout le monde le sait, ça va très très vite donc je peux le dire aujourd'hui, demain et être rappelée par un club et peut-être me poser la question. Ce n'est pas dans mes projets mais par contre, pour y entraîner, c'est une certitude parce que même si je commence à apprendre l'espagnol de manière assez importante et que ça va être le cas dans les années futures, je pense que je serai plus performante si je bossais en France. Pas dans mes projets sur le court terme, mais pourquoi pas entraîner à l'OL un jour.

 

CDF - Tu as dans un coin de ta tête aussi de revenir en équipe de France A ?

M. G. - Oui, c'est sur que je ne l'ai jamais oublié même si je le dis clairement, ça s'est atténuée [mon envie d'aller en sélection]. J'ai pris énormément de recul, j'ai pris une belle claque en étant sortie de cette sélection, je ne vais pas m'en cacher. 

Je suis un peu obligée d'y penser vu la saison que j'ai faite cette année. J'y pense encore, mais je l'espère beaucoup moins. Ce n'est plus l'objectif prioritaire mais oui, je l'ai encore dans un coin de ma tête

 

"Il ne faut pas tout porter sur ses épaules,

on est 11 sur le terrain"



CDF - On dit souvent que le poste de gardienne est un poste solitaire. Est-ce que tu le confirmes ? Il y'a des remises en question quotidiennes sur ce qu'il faut améliorer etc ?

M. G. - C'est vrai qu'on est quand même un petit peu isolées, mais on fait quand même partie d'un collectif. La remise en question est importante, parce que quand on prend un but, ça passe par nous. C'est comme tout, il ne faut pas tout porter sur ses épaules, on est 11 sur le terrain donc je pense qu'il faut doser, trouver un juste milieu, mais isolé et solitaire, ce n'est pas comme ça que je le ressens [le poste de gardienne]. Il y a une énorme part de mental et encore plus sur le terrain, parce qu'il y a beaucoup de temps où vous n'êtes pas dans l'action. C'est un temps que l'on passe avec nous mêmes et qu'il faudra plus gérer.

CDF - C'est un poste souvent critiqué, on a l'impression que parfois vous n'êtes pas appréciée à votre juste valeur ?

M. G. - C'est vrai que je n'apprécie pas qu'on dégrade ce poste parce que je le trouve quand même assez compliqué, je le trouve même ingrat parfois. C'est vrai que les critiques se sont un peu atténuées depuis la Coupe du Monde, certainement parce que les gardiennes sont beaucoup plus performantes, tout comme les joueuses [de champs]. 

Je pense que le gros manque sur notre poste a été le côté athlétique, qui s'est largement amélioré depuis quelques années. Les critiques font parties un peu de notre milieu, de notre profession et je pense qu'il ne faut pas tout lire. C'est un petit peu normal même si le poste est pas mal critiqué, mais je peux le comprendre aussi parce qu'il y a quelques années, c'était pas le même niveau et athlétiquement, ça a énormément évolué. Il y a des choses à prendre et à laisser.

 

Léo Corcos - La prise de risque de partir à l'étranger et de s'imposer en étant inconnue

M. G. - C'est vrai que j'ai eu cette sensation à chaque fois que j'ai changé de club. De devoir reprouver, montrer de nouveau [ses qualités]. A l'étranger encore plus, parce que justement ils ne me connaissaient pas. Ici, j'ai eu cette chance que le jeu, soit un peu plus en corrélation avec mes qualités donc comme on est vraiment à part entière dans le jeu d'équipe, j'ai pu vite me mettre en avant.

 

"La FFF parle de mettre en place un diplôme [d'entraîneur]

pour la D1 Féminine, je trouve que c'est très très bien"

 

Nicolas Jambou - Sur la volonté d'entraîner, qu'est-ce que tu penses du niveau des entraîneurs dans le football féminin ? De la place de la femme "entraîneure" dans le football féminin ?

M. G. - Je pense qu'une coach peut très bien s'imposer, que ce soit dans le football féminin ou dans le football masculin. C'est un très bonne chose aussi que les joueuses se lancent dans le coaching, pour leur après-carrière et pour apporter ce qu'elles ont connu, aux futures joueuses. Je trouve que c'est une bonne chose que les anciennes joueuses entraînent et puis ça permet de faire une reconversion intéressante. 

Par rapport au niveau des coachs de D1, je ne peux pas être trop trop dure, mais j'en ai pas connu... Sur le plan humain, j'ai connu de très très belles personnes mais sur le plan des compétences, c'était un peu plus compliqué. La FFF parle de mettre en place un diplôme [d'entraîneur] pour la D1 Féminine, je trouve que c'est très très bien. Je pense que le DES est un bon diplôme, mais un cran au-dessus serait bien pour entraîner une équipe féminine élite. Ça va être vraiment bien parce que ça va permettre de trier et d'amener des compétences aux entraîneurs et ça amènera peut-être des entraîneurs encore plus compétents à venir dans le football féminin. Je n'ai pas eu que des bonnes expériences avec des entraîneurs de D1, donc je ne peux pas en dire que du bien.

 

Syanie Dalmat - Quand tu étais à Saint-Etienne, on te présentait comme celle qui allait succéder à Sarah Bouhaddi, notamment en équipe de France. Est-ce que tu as des regrets, des choses que tu aurais fait différemment avec du recul ?

M. G. - Quand j'ai fait mes débuts, j'avais comme rêve d'être en équipe de France mais ce n'était pas quelque chose auquel je pensais forcément. Cet objectif est arrivé progressivement avec mes années de football et pour moi, c'était déjà inespérée d'être en équipe de France, de faire autant de compétition, de matches et de connaître un tel niveau. Dire que j'ai des regrets, ce serait mentir parce que je suis allée plus loin que ce que j'imaginais au départ. 

C'est sûr que quand on arrive à un certain niveau, c'est vrai qu'on en veut toujours plus. A un moment donné, j'ai aussi voulu prendre ma chance et essayer d'être meilleure en équipe de France. Dire que j'ai des regrets par rapport à ça, pas du tout. Faire les choses différemment, non parce qu'en vérité, j'ai plus appris de mes échecs que de mes succès parce qu'on se remet moins en question quand on gagne. J'ai trouvé - à chaque étape de ma carrière - des avantages que j'ai pu en tirer. Je n'ai pas de regrets, je suis en accord avec tout ce que j'ai fait, toutes les décisions que j'ai prises. Il y a des choix qui sont faits,  qui ne dépendent pas de moi, qui sont propres à chacun. Je suis en accord avec moi-même sur le fait que je ne peux pas tout maîtriser. Je pense avoir fait mon maximum et aujourd'hui, je le fais encore pour atteindre les objectifs que je fixe. Par contre, sur mes choix, je n'ai absolument aucun regret sur la manière dont j'ai fonctionné. Je suis plutôt fière de ce que j'ai fait, des attitudes que j'ai eues, des comportements que j'ai eus que ce soit dans n'importe quelle équipe ou sélection que j'ai faites. J'ai encore des objectifs très élevés que j'espère pouvoir atteindre mais comme je l'ai dit, j'en ai d'autres aussi hors football et c'est peut-être aussi pour ça que je me mets moins de pression.

 

Théodore Genoux - J'ai vu ton match contre le Barça en décembre. Que penses-tu de cette équipe ? Est-ce que tu penses qu'ils peuvent rivaliser un peu plus avec Lyon ?

M. G. - J'aurais dû mal à répondre si elles étaient meilleures ou pas [que Lyon] sur le championnat parce que c'est la première fois que je les côtoie. La plupart du temps, je ne les voyais qu'en Ligue des Champions, donc sur un tout autre niveau, et une tout autre opposition. 

J'ai quand même été surprise en les affrontant, du niveau, notamment individuel. Je n'avais pas vu quand elles affrontaient Lyon. Elles étaient un peu effacées, elles n'avaient pas souvent le ballon (lors de la finale de Ligue des Championnes en 2019, ndlr), j'étais surprise de leurs qualités individuelles, collectives que je n'avais pas vu en Ligue des Champions. 

Dire qu'elles rivaliseraient avec Lyon, non, et c'est une certitude. Elles en sont loin mais elles sont en progression et le championnat l'est aussi. Par contre, Lyon c'est un autre niveau et il n'y a pas photo. 

Techniquement, le jeu espagnol n'a rien à voir de la France, ou de l'Angleterre. Je pense que c'est très intéressant au niveau collectif, techniquement aussi, tactiquement. Par contre, au niveau physique, il y a beaucoup de choses à travailler, mais ce n'est pas le jeu espagnol [d'être physique]. En référence à leur sélection, c'est comme ça qu'elles jouent. Le gros manque en Espagne est le jeu athlétique, c'est la grosse marge de progression. En revanche, j'ai été vraiment surprise par le niveau collectif de toutes les équipes, je ne m'attendais vraiment pas à ça et aussi de la connaissance du jeu de chacune des joueuses. Comparé à la France, la connaissance des joueuses au niveau du football est vraiment intéressante.

Karim Erradi & Dounia MESLI