Le déconfinement et la reprise du foot en Espagne, les joueuses françaises qui s'exportent de plus en plus vers l'étranger, la convention collective en Liga Iberdrola ou encore le report de l'Euro 2021 à 2022, la gardienne du Bétis Séville, Méline Gérard, a répondu à tous ces sujets lors de notre Live Facebook #3. Entretien.

 

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Coeurs de Foot - La Belgique et les Pays-Bas ont interrompus leur championnats : les autres gouvernements vont-ils suivre (on sait depuis mardi dernier, que le championnat de France a aussi été arrêté, ndlr) ? 

Méline Gérard - Je pense que ça dépend vraiment des pays. Nous en Espagne, on est énormément touchés (23 521 morts en Espagne, le 27 avril ndlr), et ici c'est le gouvernement qui décide de la politique à mettre en place, de ce qui se passe, donc c'est vrai que dernièrement la Liga avait fait pression pour qu'on reprenne. Le gouvernement et le ministre de la santé eux ne sont pas du tout d'accord. Je les rejoins un petit peu, c'est vrai que nous en tant que joueuse bien sûr qu'on aimerait finir la saison, bien sûr qu'on aimerait reprendre que le foot nous manque, mais ça me parait un peu précipité, on n'est même pas encore en déconfinement. Et je pense que si l'Espagne avait une deuxième vague, ça serait très très difficile niveau financier. C'est vrai qu'ici on n'a pas les mêmes moyens qu'en France, ça serait très compliqué [de surmonter ça]. Et le gouvernement est très vigilent par rapport à cela. Je pense que chaque pays fera un petit peu comme il veut, et ils peuvent aussi en fonction des personnes touchées, hospitalisés et du nombre de cas. En tout cas moi je pense qu'il est plus raisonnable de ne pas reprendre.

Ici on a le droit de sortir 1h à 30 mètres de chez soi pour faire les courses, avec masque obligatoire, ils ne peuvent pas aller voir leur famille etc C'est beaucoup plus strict ici en Espagne [le confinement]. 

 

"Je ne vois pas l'intérêt [de reprendre]"

 

Théodore Genoux - Le football a une importance dans la société. Il y a une économie énorme autour...

M. G. - On le sait. Parce que c'est l'un des seuls sport qui n'est pas complètement arrêté. Je pense que reprendre pour reprendre et essayer de faire des compétitions qui n'auront certainement jamais lieu [du fait de l'épidémie]. Je ne vois pas l'intérêt. D'accord économiquement [l'arrêt définitif du football] est un problème. En France et en Espagne c'est pareil, tout doucement on essaye de réintégrer une certaine partie de la population en les autorisant à aller travailler, nous on a les ouvriers du BTP qui ont déjà repris etc Petit à petit avec des conditions plutôt atypiques, avec des distances à respecter, des masques à porter ou des gants. Tout doucement l'économie reprend quand même, on n'est pas en confinement total, ce qui était le cas il y a quelques semaines. Là la vie reprend un petit peu son cours, mais on essaye, de le faire progressivement. 

Après c'est vrai que si pour l'économie, on est amenés à reprendre et qu'on prend une deuxième vague pour repartir en confinement, je trouve que c'est du temps de perdu. Je pense qu'il faut y aller doucement et à ne pas prendre de risques. Mais ce n'est pas nous qui allons en décider. Je pense que tant qu'il n'y a pas de vaccin, ça va être compliqué.

 

CDF - Est-ce que tu discutes avec les autres joueuses en Espagne, pour savoir si elles veulent arrêter la saison ou reprendre de leur coté stp ?

M. G. - Je ne sais pas du tout, nous en Espagne ils nous l'ont pas demandé aux joueuses. De mon côté reprendre l'entraînement en tant que gardienne, je pense qu'il n'y aurait aucun problème, j'ai que mon entraîneur de gardienne, je suis peut être avec une deuxième gardienne, ou à la limite on fait plusieurs spécifiques. Par contre les joueuses, ça me parait compliqué avec les contacts et tout le reste, si on se retrouve en salle de musculation toutes. Ils avaient proposé de mettre tous les footballeurs et footballeuses en confinement pour passer des tests médicaux [et au covid], et si on était aptes, à nous isoler sur les Iles Canaries ou autre, dans une ville, pendant un certain temps, deux ou trois mois continuer à jouer la saison. Mais moi personnellement, je ne me vois pas du tout faire ça, être privée de ma famille, des gens qui me sont proches, pendant deux mois pour finir une saison, non, je suis désolée, ça serait impensable. 

Je suis confinée depuis 6 semaines, je sors juste une fois tous les 15 jours pour faire des courses, avec le masque, les gants, je me lave les mains peut-être 10 fois par jour. Si tout le monde avait fait ça, on aurait peut être des chiffres plus faibles. Mais le problème c'est que tout le monde ne respecte pas les consignes sanitaires. Après on peut pas dire à tout le monde d'être confinés, puisque certains ont besoin d'aller travailler, certains ont des enfants...tout le monde à ces petits problèmes et c'est vrai que c'est un petit peu plus facile pour nous [footballeurs]. 

 

"C'est ce que j'ai recherché aussi en venant

au Bétis, c'est de repartir de zéro."

 

CDF - Les joueuses françaises : de plus en plus vers l'étranger. Bonne chose ou pas selon toi [pour l'équipe de France avant tout] ?

M. G. - Oui c'est vrai que dernièrement il y a de plus en plus de joueuses [françaises] qui s'en vont vers l'étranger. Je pense que le fait qu'il y en ait déjà eu des premières, qui y sont allées, pour ma part ça m'a rassurée de voir qu'elles s'épanouissaient aussi à l'étranger, qu'elles avaient un bon niveau de jeu [au sein de leur équipe], qu'elles étaient aussi pour certaines encore en sélection etc Tout cela rassure [pour tenter l'aventure de son côté] et puis c'est vrai que dans une carrière avoir la chance de partir à l'étranger, rien que humainement déjà, je trouve que c'est un atout vraiment important. On rencontre une nouvelle culture, on apprend une nouvelle langue, c'est beaucoup d'enrichissement personnel aussi. Et puis c'est vrai que les championnats étrangers se sont nettement améliorés. Il y a quelques années de cela, la France était l'un des meilleurs championnats, maintenant ça s'équilibre un petit peu plus.

On voit, en Angleterre, que le championnat est aussi très intéressant. En Espagne il a vraiment progressé aussi, les équipes sont beaucoup plus homogènes, et le professionnalisme aussi arrive. Je trouve cela très intéressant, je pense que ça ne peut être que bénéfique pour le football français, puisqu'on va aussi acquérir d'autres connaissances dans d'autres championnats, d'autres compétences... Je ne dis pas à toutes les joueuses de partir dans des championnats étrangers, mais par contre dans une carrière, faire quelques saisons à l'étranger, je le conseille à tout le monde parce que c'est vraiment un enrichissement !

C'est ce que j'ai recherché aussi en venant au Bétis, c'est de repartir de zéro.

 

"Elles se sont vraiment battues pour améliorer

un peu leurs conditions [de travail]"

 

CDF - La convention collective en Espagne : une avancée majeure pour les joueuses de la Liga Iberdrola ?

M. G. - Elles se sont vraiment battues pour améliorer un peu leurs conditions [de travail], parce que même moi je n'étais pas tout à fait au courant de tout ce qui se mettait en place en venant ici, un peu en Espagne. Mais c'est vrai qu'ils y avaient certaines choses qui nous paraissent vraiment normales en France, qui n'étaient pas du tout le cas en Espagne. Comme par exemple, toutes les filles qui étaient enceintes, le club pouvait les virer sans contrepartie derrière et garantie qu'elles puissent revenir par la suite. Aujourd'hui elles ont la possibilité si elles sont enceintes, soit de mettre un terme à leur contrat si elles ont en envie, soit si elles sont en fin de contrat, elles ont un an de plus renouvelable, avec les mêmes conditions que leur dernière année de contrat, donc ça c'est vraiment un élément très important de cette convention.

Elles ont crié à l'injustice, et se sont liguées ensemble. Avec cette convention, il y a pas mal de choses qui vont être modifiées et qui sont vraiment très très bénéfiques pour la ligue féminine, comme le salaire minimum, qui n'était pas du tout le cas avant. On va aussi avoir un minimum de jours de congés dans la semaine, et à l'année, même deux jours consécutifs pour l'été qui n'était pas le cas du tout avant... J'ai énormément suivi ce qui s'est passé parce que c'était vraiment très intéressant (mais ce sont surtout les joueuses d'origine espagnol qui ont porté la convention au sein de leur pays, ndlr). Elles ont aussi négocié la possibilité d'avoir des primes de match, nous au Betis on n'en a pas, mais on en a à la signature, pour l'ancienneté... C'est une avancée vraiment énorme pour le foot féminin ici en Espagne [la convention collective].

 

Nicolas Jambou - 1,1 million des droits TV (média pro) va être accordé à 11 [des 16] clubs [pour la saison prochaine] de Liga Iberdrola. Cet argent va être utile, notamment aux plus petits clubs ?

M. G. - Ça fait déjà quatre ans qu'elles sont diffusées à la TV (Gol TV, gratuite à l'image de W9 et Vamos, qui est payante). En France c'est Canal+, et tout le monde n'a pas la chance d'avoir cette chaîne, car c'est assez onéreux. En terme de médiatisation, c'est beaucoup plus intéressant ici en Espagne et c'est vrai que depuis quatre ans les bénéfices liés aux droits TV, les clubs ne les touchaient pas, et ça ça être un vrai plus pour le foot féminin en Espagne !

 

"Je n'ai pas du tout été surprise [que l'Euro

féminin soit repoussé à 2022]"

 

CDF - L'Euro 2021 décalé : logique ? Quelles conséquences ?

M. G. - Oui pour moi c'était tout à fait logique. Déjà il y a l'Euro des garçons qui a été décalé en 2021, et puis surtout les JO qui ont également été décalés à l'année prochaine, et il ne faut pas oublier qu'il y a des pays, qui vont jouer les deux compétitions, donc ça aurait été aux Fédérations de choisir si elles engagent leur équipe nationale aux JO ou à l'Euro, donc pour le foot féminin, je pense quand même à la Hollande ça aurait été quand même dommage [de choisir entre les deux compétitions].

Je n'ai pas du tout été surprise [que l'Euro féminin soit repoussé à 2022], on en avait parlé d'ailleurs avec Camille [Abily], Eugénie [Le Sommer] et Cocotte [Corine Petit] et on se doutait fortement que ça allait se décaler. C'est dommage pour la France, parce que ça va être deux ans sans jouer une compétition internationale, mais on peut voir cette situation de façon positive, à se dire qu'on a deux ans pour préparer cet Euro !

 

CDF - Au sujet de la diffusion des matches de D1 sur Canal+ (chaîne payante, qui n'a pas fait l'unanimité, mais difficile de transmettre tous les matches gratuitement, ndlr).

M. G. - Je comprends les supporters pour ma part, mais je trouve que c'est bien qu'une chaîne comme Canal investit de l'argent pour le foot féminin. Je trouve cela super ! Après c'est vraiment dommage que ça ne soit pas des chaînes gratuites [qui diffusent la D1], parce que je pense que le public aurait été beaucoup plus nombreux. C'est vrai que même moi en France je n'avais pas Canal, je ne suivais pas les matches, heureusement que certaines faisaient des résumés, mais ce n'est pas donné à tout le monde, car c'est assez cher comme abonnement. C'est là où c'est dommage, mais si c'est eux qui ont mis le plus d'argent pour diffuser les matches, c'est normal.

 

"Sur le plan footballistique ça a

été très compliqué"

 

CDF - Dernière question, c'est un petit retour en arrière. Que retiens-tu de ton passage à Montpellier ?

M. G. - Sur le plan footballistique ça a été très compliqué (en concurrence avec Casey Murphay et des blessures à répétitions, ndlr), et sur le plan personnel très enrichissant. Ce que je retiendrais c'est plutôt le hors foot, parce que j'ai passé mon BEF là-bas, je me suis vraiment révélée dans ce rôle d'entraîneur, j'ai énormément aussi appris sur moi, mon corps suite à ma blessure, c'est ce qui m'a permis aussi de faire le choix d'aller à l'étranger, donc je suis vraiment partagée sur ces deux années [en ce qui concerne mon passage à Montpellier].

C'est sûr que si on parle de mon temps de jeu on peut croire [que ça a été difficile pour moi à Montpellier], mais ça n'a pas été si désastreux que ça et puis vraiment il y a eu plein d'autres côtés positifs, donc j'en garde un bon souvenir, même si footballistiquement ce n'était pas ce que j'attendais, ce que j'espérais, mais j'y ai trouvé plein d'autres choses (Méline Gérard venait de quitter Lyon pour gagner du temps de jeu, mais la concurrence avec Murphy et sa blessure ont eu raison de son temps de jeu, et plus indirectement sa place en équipe de France A ndlr)... 

Dounia MESLI