Invité sur notre émission en live Facebook "Parlons Football Féminin" ce mardi 5 mai avec plusieurs journalistes, l'ex-coach de l'Olympique Lyonnais Gérard Prêcheur a évoqué la formation des joueuses en France, l'équipe de France ou encore l'Olympique Lyonnais, sans langue de bois. Dans cette deuxième partie, le technicien français se confie sur les échecs répétés de l'équipe de France, Corinne Diacre et le prochain défi des Bleues, l'Euro 2022 !

 

Première partie => Gérard Prêcheur (ex-coach OL) : « [La formation des joueuses] c'est une problématique à laquelle il faudra apporter des réponses. »

Article connexe => Gérard Prêcheur (ex-coach OL) : « Je suis un décideur et ça fait partie de ma nature »

 

CDF - L'équipe de France : est-ce que à 2 ans de l'Euro "normalement" - on sait que Corinne Diacre a changé d'adjoint, avec l'arrivée d'Eric Blahic - on va ou on doit aller vers un renouveau notamment dans la façon de faire, au sujet de la mentalité, du jeu, des joueuses etc ?

Gérard Prêcheur - C'est un sujet délicat... Parce que tout le monde s'exprime sur cette fameuse équipe de France féminine, masculine. C'est un sujet délicat, surtout pour moi, qui était directement impliqué en tant que membre de la DTN, en tant qu'entraîneur national, en tant qu'entraîneur à l'OL.

Moi ce que j'ai appris, qui a renforcé mes convictions en allant à l'Olympique Lyonnais, ce qui est important, c'est qu'il faut être factuel ! C'est les faits ! Il faut être pragmatique. Un entraîneur il gagne ou il ne gagne pas. Je l'ai appris encore beaucoup plus, que lorsque j'avais je dirais cette mission de formateur. Je l'évoquais tout à l'heure, principalement sous l'impulsion d'Aimé Jacquet, énormément de démarche ont été faites, énormément d'actions ont été accomplies, pour que l'équipe de France puisse se hisser au niveau des meilleurs, qui à l'époque il y a une vingtaine d'années, étaient réservés aux pays scandinaves, la Norvège, la Suède, l'Allemagne ou encore les Etats-Unis.

Donc depuis ont a énormément mis d'accent là-dessus, la Fédération a fait beaucoup d'efforts, il faut des résultats maintenant ! Ca fait 20 ans qu'on s'investit, que la Fédération s'investit et investit énormément, et on n'a rien gagné, point à la ligne ! Vous me parlez des jeunes très bien, ça montre qu'effectivement des efforts ont été faits et qu'on était performants dans des domaines précis qu'on évoquait tout à l'heure grâce à la création du Pole France Féminin, et à l'ouverture des Pôles espoirs, mais après rien, rien ! On a rien gagné, pas une finale, rarement dans le dernier carré ! On organise une Coupe du Monde en France chez nous, on devait la gagner, et on ne devait pas dire l'objectif c'était d'être dans le dernier carré.

Quand on a les joueuses que l'on a en France, et que j'ai pu avoir à l'Olympique Lyonnais, plus celles qu'il y a dans les autres clubs, que j'ai pu côtoyer en tant qu'adversaire, on avait le potentiel [de remporter le mondial 2019]. Le résultat, on peut le dire depuis 20 ans, il est presque [nul], c'est le néant. Ce n'est pas être négatif [de dire cela] au contraire, il faut s'appuyer sur ce résultat là pour se dire, stop ! Il faut qu'on change. Ça c'est le premier point. On a jamais obtenu les résultats en corrélation avec les efforts financiers et logistiques de la Fédération Française de Football.

Ensuite on évoque le cas de Corinne Diacre, je ne vais pas évoquer la personne en tant que telle, parce que je n'ai pas la même philosophie de jeu, je n'ai pas les mêmes orientations de jeu, je n'aurai absolument pas fait sur cette Coupe du monde les nombreux choix qu'elle a fait, que ça soit dans le domaine du choix des joueuses, dans le domaine du coaching, dans le domaine stratégique, dans le domaine tactique même, on a une démarche diamétralement opposée, donc je ne vais pas évoquer Corinne Diacre, puisqu'on n'est pas en phase [dans notre façon de voir le football].

 

"Le plus important, c'est la relation qui existe entre un sélectionneur

et une joueuse, qui est source de victoire ou de défaite."

 

Moi ce qui m'importe, ce que j'ai pu apprendre de mon expérience de formateur et d'entraîneur, c'est pas le sélectionneur qui est important d'un côté et les joueurs ou les joueuses de l'autre. On peut avoir les meilleurs joueurs et joueuses d'un côté et les meilleurs entraîneurs et sélectionneurs de l'autre, et il peut ne pas y avoir de résultats. Le plus important c'est la relation, qui existe entre un entraîneur et une joueuse, qui est source de succès ou pas, c'est la relation d'un sélectionneur et une joueuse qui est source de performance ou de contre performance, de victoire ou de défaite. Ca personne ne peut le nier, parce que tous les constats on peut les faire, qu'un joueur avec tel entraîneur le courant passe bien il est performant, un an après il change de club, il change de structure, je ne citerais pas de noms, mais on a nos meilleurs internationaux, qui ont des difficultés d'adaptation.

Donc le contexte relationnel, il est capital, c'est déjà ça la question qu'il faut se poser aujourd'hui [: "Est-il bon en équipe de France A ?]. Et on le sait bien et vous le savez aussi vous parce que vous êtes des [journalistes] professionnels, mais moi j'ai tellement de contacts, soit au sein de la Fédération soit avec les joueuses, que je sais que le rationnel est très mauvais aujourd'hui entre Corinne Diacre et les joueuses. C'était le cas avant la Coupe du Monde, c'était le cas pendant la Coupe du Monde et je peux même vous assurer, que suite au Tournoi de France, pourtant qui a été positif au niveau des résultats, que ce relationnel ne s'est pas amélioré.

Donc en plus si vous rajoutez un troisième point que le championnat d'Europe va être décalé d'une année, moi je pose des questions, très humblement, mais c'est pas possible que certaines joueuses puissent tenir encore deux ans ! Donc aujourd'hui le constat est : on n'a pas les résultats, tant au niveau du bilan technique concernant cette dernière Coupe du Monde [que fait-on pour la suite ?] - c'est la première fois que je m'exprime à ce sujet et vous voyez la passion qui m'anime - moi j'ai été et déçu bien évidemment parce que les joueuses, j'ai une affection très forte pour l'ensemble des joueuses françaises et à fortiori que j'ai eu soit à Lyon soit au Pôle France Féminin.

 

"Si on ne change pas, dans deux ans on va avoir la même problématique

[à l'Euro] et on ne gagnera toujours rien !"

 

Il y avait des joueuses comme Marie-Antoinette Katoto, Grace Geyoro, je les ai eues quand j'étais directeur à l'INF à Clairefontaine. Donc j'ai été profondément attristé de voir effectivement, un, leur résultat, et deux, la qualité de jeu qu'elles proposaient... La question elle est posée, et la réponse c'est pas Gérard Prêcheur qui l'a. La réponse ce sont les décideurs au niveau de la Fédération Française de Football, je sais qu'ils sont aussi sensibles à cette problématique [d'échecs répétés de l'équipe de France A], puisqu'il y a une volonté du Président [de la FFF, Nôel Le Graet] de savoir [ce qui ne va pas], il a fait beaucoup de démarches pour améliorer le relationnel entre le sélectionneur, son staff et les joueuses. Il fait tout son possible pour que ça puisse être [harmonieux], qu'on puisse créer le contexte le plus favorable à des performances. Moi je pense qu'aujourd'hui c'est une mission qui est perdue et que si on ne change pas, dans deux ans on va avoir la même problématique et qu'on ne gagnera toujours rien !

 

"Quand je dis aujourd'hui que le relationnel n'est pas performant entre le sélectionneur et les joueuses,

c'est sur le plan coaching mais aussi sur le plan tactique !"

 

Léo Corcos - Le relationnel entre Diacre et les Bleues 

G. P. - Il y a le relationnel sur le plan du coaching si vous voulez, sur la gestion de la sportive, la gestion un peu aussi humaine, cet aspect là du relationnel, mais il y a également le relationnel sur le plan tactique, sur le message tactique !

Il faut absolument qu'il soit partagé aussi bien au niveau des joueuses, qu'au niveau des entraîneurs. Il faut qu'il y ait une unité. Ce qui est capital pour un entraîneur, c'est qu'il mette en place [un cadre harmonieux], que son message soit [entendu], qu'il y ait une unité de pensée, et une unité d'action. Et ça ça ne peut se faire que si a le/la sélectionneur(e), son staff et les joueuses sont en osmoses ! Quand je dis aujourd'hui que le relationnel n'est pas performant entre le sélectionneur et les joueuses, c'est sur le plan coaching mais aussi sur le plan tactique ! 

 

Nicolas Jambou - La bonne formation des jeunes générations présentes en équipe de France. Syanie Dalmat - Mais aussi la disparité de niveau des joueuses au sein de l'équipe France (les Lyonnaises clairement au-dessus)

G. P. - Vous avez raison tous les deux (sourire). Simplement moi ça me parait [évident], on m'a toujours dit que j'avais une démarche très cartésienne, et qu'il faut penser le plus simple possible, parce que le football ça doit être pensé et pratiqué le plus simplement possible, en associant tout simplement vos idées. C'est à dire que d'un côté à Lyon mais même à Paris - puisque c'est aussi l'un des plus grands clubs européens, performant, qui a fait deux finales de Champions League, régulièrement dans le dernier carré (chez les féminines, ndlr) - donc on a deux grands clubs en France, on a les joueuses qui ont le niveau de compétences et le potentiel pour le niveau international. Donc Lyon, Paris, d'autres clubs bien sûr - puisqu'ils ont aussi de très bonnes joueuses et on a des jeunes, qui sont issues des sélections jeunes qui sont performantes - il suffit juste de faire la mayonnaise des deux [l'expérience et la jeunesse] !  

 

"On ne peut plus continuer comme ça, à ne

rien gagner [en équipe de France]."

 

Nicolas Jambou - Les jeunes talents comme Grace Geyoro et Griedge Mbock...pour le futur de l'équipe de France, qui pourrait enfin gagner avec ces nouvelles générations

G. P. - N'oubliez pas l'expérience ! Je dirais que de s'appuyer que sur des anciennes, il manquerait peut être de fraîcheur et de joueuses, mais de ne s'appuyer que sur les jeunes qui ont gagné le dernier championnat du monde (U17), ça manquerait d'expérience. Mais je n'ai jamais été excessif. Sur ce domaine là il faut trouver, le bon équilibre entre ces joueuses d'expériences, ces joueuses qui ont gagné surtout n'oubliez pas, c'est important cette culture de la gagne, et ce mental que vous évoquez, a trouver ce bon équilibre avec ces jeunes qui ont aujourd'hui, comme les jeunes parisiennes Grace Geyoro, Kadi Diani, des joueuses qui ont été formées aussi à Clairefontaine, que j'ai eu lorsque j'étais directeur, il y a ce qu'il faut !

C'est pour ça que je peux me permettre de tenir ce discours qui pourrait paraître un petit peu dur, et je vais peut être être critiqué d'avoir un discours, qui a peut être une connotation négative, mais il faut être [franc], il ne faut pas avoir la langue de bois. Il faut dire clairement les choses : "Voilà le bilan, et on le partage tous, on ne peut plus continuer comme ça, à ne rien gagner. On a un potentiel d'un côté, qu'est-ce qu'il faut faire pour l'exploiter et l'optimiser ?"

 

CDF - Est-ce que vous pensez qu'on peut gagner l'Euro 2022, si la prise de conscience se fait et que les changements, les améliorations sont réalisés ?

G. P. - Avec les joueuses qui ont été performantes là au Tournoi de France, comme Sarah Bouhaddi, Griedge Mbock, Wendie Renard, Amandine Henry, Eugénie Le Sommer et co, on peut gagner l'Euro 2022.

Moi ce que je pense c'est qu'on aurait dû battre les Américaines [en quart de finale de la Coupe du Monde 2019 à domicile] ! J'ai cette forte conviction, cette forte croyance intérieure qu'on pouvait battre les Américaines, parce que c'est mon job, parce que je l'ai vécu, mais peu le pense. Moi je l'avais cette forte conviction ! Donc si j'ai cette conviction là, on aurait pu même peut-être être Champion du monde, mais arrêtons de dire qu'on ne peut pas être champion d'Europe dans deux ans ! 

 

"Il va falloir des résultats [pour

l'équipe de France]."

 

Léo Corcos - On doit faire un super Euro 2022 pour oublier le mondial 2019 ?

G. P. - C'est indispensable de faire un superbe Euro par rapport aux investissements [de la FFF, des clubs, des joueuses etc]. Mais ce que je n'ai pas évoqué c'est la victoire de la médiatisation, et des médias sur cet événement. Vous avez été exceptionnels ! Jamais un événement du sport féminin, n'avait été autant médiatisé et si bien médiatisé que cette Coupe du Monde en France et moi je trouve que ça a été exceptionnel ! Il n'y a pas d'autre mot.

Mais cet engouement qu'il y a envers le foot féminin, envers l'équipe de France, il ne faudrait pas qu'à un moment donné il s'amenuise, comme ça peut être le cas dans d'autres sports, si les résultats ne viennent pas. Il va falloir des résultats [pour l'équipe de France]. Il faut qu'on soit performant des 2022 ! Ca me parait tellement évident, mais moi je ne suis pas là pour convaincre.

 

CDF - Quand on voit les Pays-Bas gagner leur Euro à domicile en 2017, c'est difficile de comprendre pourquoi la France n'y arrive pas de son côté ?

G. P. - Moi je les ai côtoyé au quotidien les joueuses [de l'équipe de France], j'ai pu comparer avec les joueuses des autres grandes équipes qu'on a rencontré [avec lyon] que ça soit City, Wolfsburg et autre, donc ces joueuses-là je les ai côtoyé ou je les ai rencontré, et ce sont des joueuses de très haut niveau. Et quand on dit qu'on a perdu des générations bien évidement, et on parle de celle qu'il ne faudrait pas perdre. Mais ce discours là je l'entend depuis 14 ans, depuis 2007, et à chaque fois il y avait des promotions, comme celle d'Elise Bussaglia, Camille Abily, Louisa Nécib, Laura Georges et co et puis après, celle-ci est arrêtée, on a une nouvelle génération, mais il faudrait à un moment donné qu'on exploite le potentiel de ces générations là quand même. Et ne pas dire à chaque fois, bon bah on se re-projette dans quatre ans !

Arriver en 2024, perdre, pour dire qu'on va reconstruire pour 2024, non ! La compétition c'est le haut niveau, c'est gagner ! C'est gagner aujourd'hui ou demain. Et demain pour nous l'équipe de France - parce que mon coeur y est encore - c'est 2022, qui correspond au championnat d'Europe et on a les moyens pour le faire.

 

Photo : Maya Mans

Dounia MESLI