Il détient le record de buts inscrits par les Lyonnaises en une seule saison avec 147 réalisations (en 2014/2015, ndlr), il comptabilise trois championnats de France, trois Coupe de France et deux Ligue des Championnes au palmarès. Mais il a également été membre de la direction technique nationale sous la responsabilité d'Aimé Jacquet, entraîneur-formateur à l'institut national du football et responsable du Pole France Féminin entre autres. Gérard Prêcheur était notre invité ce mardi 5 avril pour évoquer la formation des joueuses en France, l'équipe de France ou encore l'Olympique Lyonnais, sans langue de bois. Dans cette première partie, le technicien français évoque l'importance de la formation, pour élever le niveau du championnat et des sélections tricolores !

 

Deuxième partie => Gérard Prêcheur (ex-coach OL) : « Si on ne change pas, dans deux ans [...] on ne gagnera toujours rien ! »

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Coeurs de Foot - Pensez-vous que l'accompagnement, la formation des joueuses est à la hauteur en France ?

Gérard Prêcheur - Écoutez c'est un sujet qui me tient à cœur parce que effectivement ma carrière a principalement été axée dans le domaine de la formation, comme vous l'avez dit j'ai été directeur du Pole France Féminin, j'ai été formateur à l'INF, directeur de l'INF garçons et filles, j'ai été entraîneur national, responsable du haut niveau dans le football féminin...

Donc dans le domaine de la formation je me suis énormément investi, chez les garçons et également énormément chez les filles et le football féminin. Quand j'ai quitté la direction technique et la Fédération pour aller à l'Olympique Lyonnais j'avais travaillé pendant un an sur un gros projet "Comment améliorer encore et toujours la formation de la jeune joueuse de football". Ce que j'avais proposé à mon DTN à l'époque c'était - après avoir créé le Pole France, après avoir créé les pôles espoirs dans certaines ligues - qu'on se cale maintenant sur le cursus de formation, et le cursus pédagogique qui est proposé au niveau des garçons, qui est très performant, parce qu'on est un des meilleurs pays formateur au monde. Et je souhaitais qu’on puisse se calquer un peu sur ce cursus [des garçons pour les filles].

Concrètement j'avais proposé - une fois qu'on avait bien avancé au niveau du pôle France et des pôles espoirs - que tout le domaine pédagogique, sur toute cette tranche d'âge de formation soit confié aux clubs, soit sous la responsabilité des clubs, la majorité aujourd'hui sont professionnels, donc en étant indirectement ou par des fortes passerelles avec les centres de formation, c'était quelque chose qui me paraissait tout à fait légitime. Et pour les clubs amateurs, puisqu'il y en a encore au niveau de la D1, j'avais proposé effectivement à la DTN, à la Fédération, d'apporter des aides, une assistance, au niveau des structures, en participant à la mise en place de partenariats avec les lycées et les internats pour pouvoir proposer au niveau des 15/18 ans, des lycéennes, un sport études [pour les accompagner et avoir un vivier de joueuses potentielles].

Et au niveau également des clubs pouvoir apporter des aides pour ceux je répète les clubs amateurs, sur le plan de l'encadrement, en leur donnant des moyens de recruter un entraîneur-formateur, un spécialiste, parce que la formation d'une joueuse de football, comme la formation d'un joueur professionnel, ça doit avoir un encadrement professionnel. Et cet avantage d'avancer dans cette démarche, c'est qu'ensuite tous les cadres fédéraux, auraient eu la même mission qu'ont les formateurs au niveau de la pré-formation chez les garçons. Parce que aujourd'hui il n'y a pas de vérité, j'ai de fortes convictions [que cela va faire avancer le foot féminin], et celle-ci c'en est une très très forte, je pense que de mon expérience, presque tout se joue entre 12 et 15 ans sur l'avenir d'un jeune joueur de football, comme pour une jeune joueuse de football et que cette pré-formation aujourd'hui elle doit être confiée là aussi à des professionnels.

C'est pour ça que les responsables des pôles espoirs aujourd'hui j'avais proposé qu'ils soient responsables des centres de pré-formations chez les filles, comme il y en a chez les garçons. Ma proposition était jugée un petit peu prématurée à l'époque, avant que je parte à Lyon (en 2014, ndlr). C'était une des raisons d'ailleurs qui a pesé dans la balance sur le fait de quitter mon poste d'entraîneur national avec de belles missions, pour aller à l'Olympique Lyonnais. Effectivement le fait de ne pas avoir été suivi par ma hiérarchie à ce moment-là à eu une influence sur la décision. Jusqu'à aujourd'hui je ne regrette pas [mon choix] bien évidement.

 

"On avait un temps d'avance grâce au Pole France Féminin,

[...] mais aujourd'hui [ce n'est plus le cas]"

 

Par contre je constate aujourd'hui que ça n'a pas évolué, et comme vous l'avez signalé tout à l'heure, j'ai des inquiétudes sur la concurrence [des autres pays] je pense que très très récemment qu'on avait un temps d'avance, grâce à Aimé Jacquet que vous avez évoqué tout à l'heure, en tant que Directeur Technique National en 2000, qui a mis en place, a créé ce Pôle France Féminin, et j'ai eu l'honneur qu'il me propose la direction et donc effectivement il a beaucoup œuvré pour le foot féminin, et on avait un temps d'avance grâce au Pole France Féminin, ensuite avec les pôles espoirs, mais aujourd'hui [ce n'est plus le cas], je sais que dans beaucoup de pays, en Europe, en Allemagne, ils ont démarré la formation beaucoup plus tôt et moi qui ait passé un an et demi en Chine, je peux vous assurer qu'il y a des milliers, des milliers - bien sûr c'est une population d'un milliard - mais il y a des milliers de jeunes filles entre 12 et 15 ans qui sont très bien encadrées et qui font évoluer le football là-bas de façon assez rapide !

Donc je m'interroge un petit peu sur le "confort" [l'avance] que l'on a pris sur la formation des joueuses de football en France, et qu'on n'a pas fait évoluer depuis pas mal d'années, et vous avez raison en tout cas, c'est une problématique à laquelle il faudra apporter des réponses.

 

"Si en amont ces jeunes filles

n'ont pas bénéficié"

 

Syanie Dalmat - Sur la mixité qui favorise la formation des jeunes joueuses

G. P. - La mixité oui tant que le football féminin n'aura pas plus de licenciées, même s'il a considérablement augmenté et bravo à la Fédération d'avoir mis en place le plan de développement au niveau de la masse [du nombre], ça a été très performant. Mais tant qu'il n'y aura pas plus de joueuses au niveau des écoles de football, je suis entièrement de votre avis il faut privilégier la mixité, en tout cas surtout pour les meilleures [joueuses].

Il faut accepter que la Fédération a eu des difficultés à faire [mettre en place la mixité], il faut accepter qu'il y ait un plan de développement pour la féminisation, un développement du football féminin avec les femmes et les jeunes filles, mais comme vous l'avez dit il y a une spécificité pour le haut niveau, il n'y a pas de temps à perdre, tout se joue avant 13 ans, 90% des aptitudes motrices sont acquises à 13 ans et donc si en amont ces jeunes filles n'ont pas bénéficié d'un programme pédagogique du niveau de leur potentialité, effectivement c'est un frein, elles prennent un retard qui sera difficile de combler.

 

"C'est en améliorant le niveau de la D1 qu'on va pouvoir continuer d'​améliorer

le niveau collectif des joueuses en équipe de France !"

 

Donc oui la mixité chez les plus jeunes, les intégrer au niveau de la pré-formation, moi je ne serais pas aussi - par rapport à mon exigence - tolérant que vous sur le fait de dire que sur le plan technique elles rattrapent le niveau des garçons, pour quelques unes seulement, c'est ça qu'il faut comprendre. Effectivement pour quelques unes qui ont connu la mixité, qui ont été bien encadrées au niveau de la pré-formation, qui ont intégré le Pole France ou un pôle espoir, ou un club pro aujourd'hui, qui ont suivi un bon cursus de formation, pour certaines effectivement elles ont un niveau meilleur, mais vous pouvez les compter, je peux vous assurer que vous n'en avez pas 20 aujourd'hui [en France] ! Donc il faut absolument augmenter, améliorer le niveau général de ces filles en période de formation pour qu'elles puissent ensuite améliorer le niveau des équipes de jeunes, puis ensuite le niveau de la D1 ! Ca passera par là ! Et c'est en améliorant le niveau de la D1 qu'on va pouvoir améliorer, continuer d'améliorer le niveau collectif des joueuses en équipe de France ! 

 

CDF - Tout découle de la formation en somme ?

G. P. - Oui mais bien sûr, il faut [former les jeunes joueuses comme il faut] ! Je dirais que c'est chacun son métier ! On est très performant en France au niveau des garçons, comme je l'ai évoqué tout à l'heure. On est un des meilleurs pays formateurs au monde, on a des joueurs [exceptionnels], on est champion du monde chez les garçons (1998 et 2018, ndlr), on a des joueurs qui sont dans les plus grands clubs européens. Je pense qu'on est passé devant le Brésil au niveau de la représentativité des joueurs français sur le plan européen, donc on a ce savoir faire.

 

"Il ne faut pas qu'il y ait d'un côté [...] une politique de formation pour les garçons

et une politique légèrement différente pour les filles"

 

C'est sur cela que je m'étais appuyé au début, quand Aimé Jacquet m'a demandé de prendre la direction du Pôle France. Donc ce savoir faire il faut continuer de l'exploiter, et vous avez raison, il ne faut pas qu'il y ait d'un côté au sein de la DTN, ce qui était un peu le cas lorsque j'y étais, une politique de formation pour les garçons et une politique légèrement différente pour les filles.

 

"Il faut que la formation de la joueuse de football puisse être en lien

avec celle des garçons, au sein d'un centre de formation"

 

C'est pour cela que j'évoquais les centres de formation ! Je sais que ça fonctionne bien, je l'ai vécu à Lyon, à Paris je suppose, aujourd'hui il y a Bordeaux, Lille, il y a beaucoup de clubs qui sont en structures professionnelles. Il faut que la formation de la joueuse de football puisse être en lien avec celle des garçons au sein d'un centre de formation, directement avec un formateur qui fait partie de l'équipe ou éventuellement, au moins avec des passerelles, avec des personnes qui font le lien entre les deux, au moins sur le contenu pédagogique et sur l'accompagnement de la joueuse.

 

"Si on accompagne les joueuses comme il faut, elles

auront toutes le niveau pour jouer en D1 !"

 

Nicolas Jambou - Certaines joueuses manquent de cette formation, et cela joue aussi sur le niveau de la D1 ?

G. P. - Si on accompagne les joueuses comme il faut, elles auront toutes le niveau pour jouer en D1 ! C'est là que vous avez entièrement raison, c'est que si aujourd'hui et c'est le constat que l'on faisait il y a quatre ans, avant que je parte à l'Olympique Lyonnais, qu'elles n'avaient pas le niveau, c'est qu'effectivement lorsqu'elles intégraient une structure, aussi performante que les pôles espoirs, il était presque trop tard parce que moi qui les voyait au Pole France, quand on faisait les concours d'entrés au niveau des pôles espoirs, on prenait des joueuses par défaut, parce qu'elles n'avaient pas bénéficié de ce cursus et qu'elles avaient des manquent qu'elles ne pouvaient plus combler.

 

"On a pris du retard [avec l'équipe de France] !"

 

Et Gilles [Eyquem] a entièrement raison et c'est un constat qui devrait faire réagir, et moi rien que de vous avoir entendu dire ça, je constate que ça ne s'est pas amélioré [le niveau de certaines joueuses de D1], que la France avec ce qui a été mis en place depuis 20 ans, ne puisse pas proposer aujourd'hui deux sélections en U19 et en 20 ans performantes, ça prouve qu'on a pris du retard, qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait et qu'il va falloir se mobiliser mais d'une façon très forte pour rattraper ce retard et reprendre le bon chemin, ça c'est sûr !

 

CDF - Il y a beaucoup de pays qui sont entrain de rattraper leur retard de leur côté, en Espagne on le voit, l'Angleterre aussi...

G. P. - Regardez prenez deux exemples parce que moi je l'avais annoncé, heureusement parce que c'était mon métier, j'étais un des seuls à la Fédération les deux dernières années, j'avais quitté un peu [le foot féminin à ce moment-là], enfin j'étais directeur à l'INF, toujours directeur de l'INF garçons, mais j'avais quand même comme mission le haut niveau du football féminin. Donc je consacrais tout mon temps et mon énergie à son développement, et j'ai analysé tout ce qui se faisait dans les autres pays, et les deux premiers pays que j'avais annoncé, j'ai dis : "Attention il faut qu'on soit vigilant", c'est l'Espagne et les Pays-Bas, ce sont deux pays formateurs également, qui ont un savoir faire, on le sait très bien, avec la qualité des jeunes qu'ils forment, que ça soit à l'Ajax ou dans les autres clubs, ils ont ce savoir faire, comme nous on a en France.

L'Espagne qui a raflé la Coupe du Monde et des championnats d'Europe, ils ont ce savoir faire et ils ont une philosophie de jeu qui correspond parfaitement au football féminin, basé sur une technique individuelle et collective, donc moi j'avais prévenu que ces pays-là - et il y en a eu d'autres depuis, qui s'impliquent énormément dans le foot féminin - il ne va pas falloir qu'on dort sur nos lauriers. Malheureusement c'est un petit peu le cas, parce que ces pays là ont comblé leur retard et ils peuvent nous passer devant. Et c'est le cas puisque les Pays-Bas sont au-dessus de nous, par rapport à l'équipe de France.

Dounia MESLI