Depuis hier, de nombreux médias se sont fait l’écho de l’accord trouvé entre les joueuses de l’équipe nationale espagnole et la RFEF, la fédération espagnole de football. Un accord présenté comme « historique », et qui représente une avancée réelle pour les internationales espagnoles. Ces dernières étaient représentées par leurs capitaines, Alexia Putellas, Irene Paredes et Patri Guijarro, alors qu'Amanda Gutierres, présidente de FUTPRO (syndicat majoritaire chez les joueuses de Primera Iberdrola) était également présente au moment de la signature.
Cet accord introduit des progrès pour les joueuses de l’équipe nationale féminine, qui vont notamment bénéficier de « meilleures conditions de travail » une augmentation des sommes perçues au titre du « droit à l’image », mais également un pourcentage des revenus liés aux contrats de sponsoring qui concernent l’équipe nationale féminine.
Le début du chemin
Le principal point de cet accord concerne les primes perçues par les joueuses de l’équipe nationale, qui ont été présentées comme étant désormais égales entre les sélections masculine et féminine. Pourtant, le communiqué de la fédération espagnole parle bien de « pourcentage ». Autrement dit les sélections espagnoles, femmes et hommes, recevront le même pourcentage des sommes versées par la FIFA ou l’UEFA lors des grandes compétitions.
Un rapide coup d’œil aux primes versées lors des Euros de football permet de comprendre la subtilité. Lors de l’Euro masculin 2021, l’UEFA avait prévu 331 millions d’euros de primes (et même 371 millions avant le report de l'Euro de 2020 à 2021) pour les différentes équipes participantes, avec jusqu’à 28,25 millions d’euros pour le pays vainqueur (34 millions dans la dotation initiale). Cet été, l’Euro féminin 2022 s’est vu allouer un prize money de 16 millions d’euros et un peu plus de 2 millions d’euros pour l’équipe vainqueure.
Si les équipes masculines et féminines reçoivent le même « pourcentage », ce calcul se fait à partir de sommes qui sont aujourd’hui à des échelles complètement différentes.
Géométrie variable
Les joueuses de la sélection espagnole n’étaient probablement pas en position d’exiger plus à ce stade, alors que la Roja est candidate pour un premier titre européen et que la discipline connaît une progression spectaculaire. Celle-ci se traduit notamment la mise en place d’une ligue professionnelle dans le pays à partir de la saison prochaine, et c’est en Espagne que le nouveau record mondial d’affluence pour un match de football féminin a été établi, le 22 avril dernier au Camp Nou de Barcelone.
Ce choix du « pourcentage » comme critère pour définir une égalité de traitement entre les équipes masculine et féminine fait débat en Espagne. Une loi actuellement en discussion au parlement espagnol prévoit en effet de « garantir que le système d’indemnités (dietas) attribuées, lorsque les sportifs sont engagés avec leurs équipes nationales, soient égalitaires (igualitario) entre les hommes et les femmes ». La subtilité est que la fédération (RFEF) ne paye que des « primes » (primas), selon les mots de son président Luis Rubiales, et donc ne s'estime pas engagée par les dispositions de la future loi.
Cette formulation d’un traitement « égalitaire » se rapproche de l’accord trouvé récemment aux États-Unis, avec la mise en place d’un pot commun entre les sélections masculine et féminine de football, et un partage à 50/50 entre les deux équipes. Dans la pratique, cela revient à demander aux joueurs de l’équipe masculine de réduire le montant de leurs primes pour permettre aux deux équipes de recevoir les mêmes sommes, tant que la FIFA et les différentes confédérations ne distribueront pas des primes équivalentes pour les tournois masculins et féminins.
Pas en avant
Par le passé, d’autres fédérations avaient fait des pas en avant en direction d’un traitement égalitaire entre leur sélections, à l’image de l’Australie en 2019, avec une distribution égale des revenus commerciaux liés aux équipes nationales, entre les sélections féminine et masculine. Deux ans plus tôt, la Norvège avait augmenté les fonds alloués pour indemniser les joueuses de l’équipe nationale féminine, des sommes désormais équivalentes à celles allouées pour l’équipe masculine.
Pourtant dans les deux cas, ces accords prévoyaient un pourcentage équivalent sur les primes versées par la FIFA, l’UEFA (ou l’AFC pour l’Australie) au moment des grandes compétitions internationales. C’est le même principe que l’on retrouve en France. Lors de la Coupe du monde 2019, environ 30 % des primes FIFA auraient être reversées aux Bleues, le même pourcentage que pour les garçons lors du Mondial 2018.
Ce choix du pourcentage maintient donc les disparités potentielles dans les sommes perçues par les joueuses et les joueurs lorsqu’ils sont en équipe nationale. La responsabilité sur cette question est donc partagée entre les fédérations, les gouvernements nationaux et les instances internationales du football.
L’accord trouvé en Espagne est un signe supplémentaire de la progression dans la discipline de l’autre côté des Pyrénées. Dans l’un des pays les plus passionnés par le ballon rond, le football féminin est définitivement sorti de l’anonymat, entre performances sportives des clubs et sélections espagnols, engouement du public, mais aussi une partie de la classe politique espagnole qui fait du sport, et du football en particulier, un symbole pour la progression de l’égalité hommes-femmes en Espagne.
Photo : RFEF
Hichem Djemai