Rares sont les joueuses qui font 16000km pour jouer au foot. Erin Nayler a pourtant pris ce risque en allant jouer avec l'équipe universitaire de Fort Wayne aux Etats-Unis et aujourd'hui elle évolue en France avec le FCG Bordeaux. Forte d'une expérience du haut niveau, le club français a recruté une gardienne hors pair dans ses buts. Interview.
Coeurs de Foot - J'ai vu que vous aviez débuté votre carrière professionnelle si on peut dire, aux États-Unis avec une équipe universitaire. Comment ça s'est passé pour vous ?
Erin Nayler - Je ne dirais pas que c'est le début de ma carrière, mais j'ai bien été à l'université aux États-Unis, seulement pour quelques mois lorsque j'avais 18 ans.
CDF - Ce moment a dû vous donner les bases de votre apprentissage du haut niveau ?
E.N. - Oui c'est vrai. J'imagine que cela m'a lancée dans ma carrière. C'est un début à tout.
CDF - C'était un moment important pour vous ?
E.N. - Oui. Juste après l'université, j'ai été avec l'équipe de Sky Blue. C'était court car il y a eu des choses qui ne fonctionnaient pas. L'équipe est professionnelle mais pour moi, ce n'était pas la meilleure expérience. Ca m'a donnée un aperçu sur le besoin d'approcher des équipes, quand je vais les voir. Ca m'a aidée à devenir une joueuse plus forte.
CDF - J'imagine que ça doit être difficile de partir aussi loin de sa terre natale, surtout de quitter un pays aussi magnifique que la Nouvelle-Zélande ?
E.N. - (sourire) Oui c'est dur. J'ai tous mes amis et ma famille là-bas. C'est vraiment loin (30h d'avion). Heureusement, je rentre chez moi à Noël, mais je pense que ça en vaut la peine. C'est super de jouer pour Bordeaux. C'est ma carrière, mon job et je l'aime.
CDF - Comment s'est passée votre adaptation à la France ?
E.N. - J'ai débuté avec Lyon. C'était bien, je me suis rapidement adaptée. Évidemment, le niveau est très élevé.
CDF - Je sais qu'en Nouvelle-Zélande c'est le rugby qui est le plus populaire, est-ce que c'est aussi le cas chez les féminines ?
E.N. - Pas vraiment pour les femmes. Je pense qu'elles s'intéressent plus au football. Nous avons aussi le Netball, mais pas beaucoup de pays jouent ce sport. Oui, le football est plus populaire que le rugby [chez les filles].
CDF - C'est compliqué pour la Nouvelle-Zélande d'exister avec l'Australie en face ?
E.N. - Oui, c'est un grand pays [l'Australie]. Je pense que c'est parce que le pays est petit et nous n'avons pas beaucoup de soutien en terme de fonds et pleins d'autres choses. Elles [les Australiennes] ont beaucoup de soutien de la part de leur fédération. J'ai entendu qu'il y a de plus en plus de fans pendant leur matches internationaux. C'est dur pour nous [la Nouvelle-Zélande]. Mais en tant que petite nation, on unit nos forces pour faire de notre mieux.
"On se serre les coudes pour ça et
on espère que les conditions changeront."
CDF - J'ai vu également que depuis des années l'équipe féminine se bat pour avoir de meilleures conditions de travail, pour préparer au mieux les grandes compétitions. Comment voyez-vous cela de votre côté ?
E.N. - Les deux équipes se valent. L'Australie a plus de soutien parce que la fédération a les moyens. Elles ont fortement progressé et ont beaucoup de sponsors. Quant à nous, on se serre les coudes pour ça et on espère que les conditions changeront afin de nous aider lors de grandes compétitions.
CDF - Parce que vous n'avez pas de championnat professionnel ?
E.N. - L'Australie a un championnat professionnel. Nous avons un championnat en Nouvelle-Zélande, mais il est plus destiné aux jeunes. Je ne suis pas sure qu'il s'agisse d'un championnat professionnel, mais il est important que les meilleures joueuses soient le plus soutenues par la fédération.
CDF - Comment ça se passe aujourd'hui en Nouvelle-Zélande pour l'équipe féminine ?
E.N. - On a une superbe équipe. Il va y avoir beaucoup de changements. Récemment, le coach (Tony Readings) a démissionné donc pour le moment, on n'a pas de coach (rires nerveux). La semaine qui vient, on ira en Thaïlande pour 2 matches amicaux face aux Thaïlandaises. Ca sera vraiment intéressant en vue des prochains tournois.
"J'aimerais participer à la prochaine
Coupe du Monde en France."
CDF - Je suis vos performances depuis plusieurs années, entre autre depuis la Coupe du Monde au Canada. Vous dites que votre meilleur souvenir c'est justement le match contre le pays hôte, le Canada et je sais que vous aviez été élue joueuse du match. C'était la première grande compétition du pays et pour vous ?
E.N. - Pour moi, ça l'était.. J'ai été en Allemagne pour la Coupe du Monde, mais je n'avais pas joué du fait que j'étais la 3e gardienne (ndlr : derrière Jenny Bindon et Aroon Clansey) et j'étais jeune. La Coupe du Monde au Canada était ma première vraie compétition. C'est bien pour ma carrière. C'était l'une des raisons pour laquelle j'ai été amenée à venir à Lyon. C'était vraiment passionnant. Juste après, j'ai joué les Jeux Olympiques et j'aimerais participer à la prochaine Coupe du Monde en France.
CDF - Est-ce que ça a changé quelque chose pour le football féminin en Nouvelle-Zélande et pour vous personnellement dans vos objectifs ?
E.N. - Être capable de jouer sur la scène internationale [c'est extraordinaire]... Beaucoup de personnes en Nouvelle-Zélande regardent les matches. Je pense que chaque année, chaque grand événement, ça fait grandir le sport dans le monde ainsi qu'en Nouvelle-Zélande. Comme vous l'avez dit, on est tout le temps obnubilés par le rugby. Pour les femmes et les filles en Nouvelle-Zélande, je pense que regarder la Coupe du Monde les inspirent à jouer au football, d'être les prochaines "Football Ferns" et être la prochaine génération de joueuses qui jouent pour le pays. Oui je pense que le football grandit chaque année.
CDF - Comment est-ce que vous pourriez décrire votre jeu.
E.N. - Pour moi, lorsque je suis arrivée en France, je devais travailler ma technique et c'est pour ça que c'est bien pour moi d'être ici. En tant que gardienne en France, je dois beaucoup travailler mon jeu au pied et j'ai progressé sur ce domaine là. En tant que gardienne, je dois être très forte physiquement mais le plus important, c'est d'être forte mentalement et je pense que c'est la chose la plus importante à ce poste.
CDF - On a l'impression que vous n'aimez pas vraiment sortir trop loin de votre but, pour justement éviter de vous faire lober ?
E.N. - Je pense que je pourrais me comparer à un gardien comme Neuer. Je préfère rester sur ma ligne de but, mais je pense devoir retravailler la-dessus. Et puis j'ai remarqué qu'en France, que les équipes jouent plus haut sur le terrain et c'est important pour la gardienne d'être en position de dernier rempart. C'est une autre partie de mon jeu, pour être meilleure qu'avant et rester au top.
CDF - On a le sentiment que vous savez apprécier les déplacements des joueuses adverses, pour calculer la trajectoire de leur frappe. Vous avez une bonne détente qui plus est, c'est ce que vous préférez on a l'impression dans ce poste là ?
E.N. - (sourire) L'agilité est ma force, c'est comme ça que je joue.
CDF - En 2016, vous participez de nouveau à une grande compétition, les Jeux Olympiques de Rio. C'était un moment particulier encore une fois. Vous aviez affronté la France en plus.
E.N. - C'était un super tournoi. C'était difficile car on était dans le même groupe que les États-Unis, la France et la Colombie. C'était dur mais c'était encore une fois une belle expérience. On a cru pouvoir sortir de la phase de groupes, mais on savait que ça allait être dur. Contre la France, on avait besoin d'un point donc on s'est tous mis devant et on a perdu le match (3-0). Ce n'était pas avec la meilleure des manières [de sortir], mais on ne serait pas chanceuses avec un nul non plus.
CDF - Qu'est-ce que vous gardez de ces deux événements l'un après l'autre ?
E.N. - Cela m'a aidé a gérer la pression, jouer devant des milliers de personnes. Rester calme quand la situation n'est pas en notre faveur, quand on est menées ou qu'on perd, mais c'est bien pour moi de mener au score aussi. J'ai beaucoup appris de ces matches. Le plus important, c'est que cela a été bénéfique pour moi mentalement. En tant qu'équipe, on s'est améliorés de la Coupe du Monde aux J.O. Et c'est bien de prendre un match après l'autre, mais on n'a pas eu les résultats souhaités.
"J'aimerais bien rester en France,
au moins jusqu'à la Coupe du Monde."
CDF - Aujourd'hui l'objectif pour vous c'est d'être performante en club et de jouer la Coupe du Monde 2019 ?
E.N. - Exactement. J'aimerais bien rester en France, au moins jusqu'à la Coupe du Monde. Il y a un bon championnat. Je pense que ça me permet de m'améliorer et d'être plus forte d'année en année. Pour moi, cette année était géniale. J'ai pu jouer des matches contre de bonnes équipes, ce qui me permet d'apprendre à chaque match. J'espère m'améliorer encore plus, pour pouvoir jouer la Coupe du Monde.
CDF - Vous êtes repérée par Lyon justement comme vous me l'avez dit durant les Jeux Olympiques 2016. Je pense que c'est un passage qui a été compliqué, mais qui a dû aussi vous apprendre à prendre des risques ?
E.N. - C'était un gros risque de venir dans ce club. C'était la meilleure opportunité que j'avais. Tout le monde veut jouer à Lyon, c'est la meilleure équipe du monde. Quand l'opportunité s'est présentée, je n'ai pas hésitée, j'y suis restée un an. J'étais derrière Méline Gérard et Sarah Bouhaddi. J'ai beaucoup appris d'elles, elles sont toutes les deux internationales. J'ai appris à mieux utiliser mon jeu au pied et à bien gérer la pression, parce que c'était dur pour moi. Oui, c'était un gros risque, mais j'ai été récompensée.
CDF - Vous partez donc à Grenoble, où vous avez pu faire "vos gants" si on peut dire, vous avez goûté au jeu français ?
E.N. - Il y avait un partenariat avec l'OL et le GF30, donc je suis allée à Grenoble pour avoir du temps de jeu, pour tester le championnat français. Entre temps, je m'entraînais toujours à Lyon. C'était important pour moi d'avoir du temps de jeu, même si c'était la D2. J'ai eu de l'expérience, et parler français sur le terrain était super pour moi. Ca m'a beaucoup aidée avant de venir ici.
CDF - Aujourd'hui vous êtes pleinement engagée avec Bordeaux. Comment vous sentez-vous ?
E.N. - J'adore être ici. Le club a été très accueillant, les filles aussi. Les entraînements sont supers. Je m'entraîne avec les garçons du centre de formation deux fois par semaine. Je joue chaque semaine contre de belles équipes, comme je l'ai dit avant. C'est génial pour moi et bon pour mon évolution.
CDF - Vous avez eu un bon début de saison avec Bordeaux.
E.N. - Oui, on a très bien démarré mais on a laissé quelques points la où il ne fallait pas. Depuis que je suis arrivée, on s'est beaucoup améliorés. Au début, on a eu 5 matches de préparation et c'était un peu instable, on était pas assez confiantes. Mais au fur et à mesure des matches, on est devenues de plus en plus confiantes. On a perdu que 2-0 à Lyon, on a eu un match nul face à Rodez. Je pense qu'on peut y croire en allant de l'avant. On a deux gros matches à venir, contre Montpellier et le PSG. En tant qu'équipe, on peut croire à un résultat face à eux. Il suffit de revoir notre plan de jeu, de croire en nous et je pense qu'on peut avoir un bon résultat.
CDF - J'ai parlé avec une de vos nouvelles coéquipières, Julie Thibaud (internationale U19 et U20) et elle m'a dit ceci : "Oui avec l’équipe ça se passe très bien, elle commence à parler français donc c’est un très bon point pour la communication avec Erin."
E.N. - Le club était bien sur ce point là. Avec les autres internationales, nous avons un cours de français deux fois par semaine. Je commence à apprendre un peu plus le français, même si je ne suis pas très à l'aise avec la langue, sauf sur les mots basiques sur le terrain. J'espère que plus tard, je pourrais parler français.
CDF - Elle a aussi ajouté : "Franchement sur ce début de saison je suis agréablement surprise par ses matches, elle est rassurante et nous fait de très beaux arrêts sur sa ligne, c’est un gardienne qui a un bon jeu au pied. En dehors du terrain elle est souriante et très gentille."
E.N. - Je suis très positive avec l'équipe, parce que j'apprécie d'être avec ce club et évidemment, je me dois de l'être sur le terrain [rassurante], quand je suis concentrée. Je tire profit de mon expérience pour aider mon équipe du mieux que je peux.
CDF - J'ai aussi demandé à un supporter et photographe du club Nicolas Lacambre, et il m'a dit que vous êtes une joueuse très humble.
E.N. - Oui, je suis d'accord avec ça. Je pense que toutes les personnes en France sont humbles, même pendant mon passage à Lyon. C'est important pour une joueuse de ne pas être trop arrogante.
CDF - Comment voyez-vous la saison ? Pensez-vous pouvoir lutter pour les premières places ?
E.N. - Oui, vraiment. Je pense qu'on a surpris beaucoup d'équipes. Nous devons juste continuer ce qu'on fait. On doit travailler plus et comme je l'ai déjà dit, il faut croire en nous-mêmes. On doit travailler beaucoup de choses. Par exemple, contre le Paris FC (perdu 3-2), c'est des choses qu'on doit arranger et je pense qu'on peut être beaucoup plus fortes [collectivement]. J'espère qu'on pourra aller titiller les équipes du top 4, car c'est notre but et d'en renverser quelques unes.
CDF - J'ai vu que Bordeaux a fait un très bon recrutement. C'est important pour une équipe ?
E.N. - Oui, je pense que c'est un bon recrutement, On s'entend très bien, on est très proches et ça aide aussi. On vient de partout dans le monde. C'est super de venir en même temps que ces joueuses. Nous sommes un groupe soudé et je pense que cela aide beaucoup.
CDF - Y a-t-il un vrai engagement envers l'équipe féminine du club ?
E.N. - Oui, complètement. Depuis cette année, ils ont décidé de faire plus d'efforts sur l'équipe féminine, car c'est seulement la deuxième saison de Bordeaux en D1. A l'heure où je parle, de nouvelles installations sont en cours de construction et les féminines seront dans une partie de ses infrastructures. C'est des choses qui prouvent qu'ils investissent pour les femmes et c'est beau à voir.
Retranscription en anglais : Asif Burhan Traduction en français : Kar Err
Photo : Knibal Story