Entretien avec Valérie Fourneyron (Députée et ancienne Ministre des Sports, de la Jeunesse, de l'Éducation populaire et de la Vie associative)
Aujourd'hui députée de la 1re circonscription de la Seine-Maritime et anciennement ministre des Sports, de la Jeunesse, de l'Éducation populaire et de la Vie associative entre le 16 mai 2012 et le 31 mars 2014, Madame Valérie Fourneyron porte son regard sur l'avancée du football féminin dans notre pays. Et adresse un message aux Bleues avant la Coupe du Monde au Canada cet été.
Avant l'ouverture de la Coupe du Monde féminine en Juin prochain, que pensez-vous de l'évolution du football féminin dans son ensemble ?
« Le foot féminin français connait une vitalité sans précédent depuis 2 ou 3 ans et je m’en réjouis.
Grâce au volontarisme du Président Noël Le Graët et à l’impulsion de l’ancienne internationale Brigitte Henriques, qui est au comité exécutif, la FFF s’est dotée d’un plan de féminisation très ambitieux, avec un objectif à la fois précis, concret et réaliste : atteindre les 100000 licenciées le plus vite possible et de préférence avant l’accueil de l’Euro 2016. Ça peut paraître faible comme objectif quand on parle d’une fédération qui compte plus de 2 millions de licenciés au total, mais quand on voit le point de départ (moins de 50 000 il y a encore 5 ans, 72 000 aujourd’hui), on mesure l’ampleur de la tâche à accomplir !
Et cette vision ne se limite pas aux licenciées. La FFF table sur 40.000 dirigeantes, 5000 éducatrices, 2500 élues, 2000 arbitres et 1000 écoles de foot labellisées. J’apprécie particulièrement la dimension très complète de ce plan.
Ce plan de féminisation est devenu un axe prioritaire de la politique fédérale, dans le cadre de sa stratégie « Horizon Bleu 2016 » et se construit autour de plusieurs axes : améliorer la place des femmes dans le football, que ce soit au niveau de la pratique, de l’encadrement ou de l’arbitrage, mieux valoriser les performances des féminines en haut-niveau, mais aussi mieux structurer les instances fédérales pour laisser un espace aux femmes.
« Sur ce dernier point, je salue le passage des paroles aux actes, au plus haut-niveau fédéral, avec la nomination de Florence Hardouin comme directrice générale déléguée, ou celle de mon ancienne collaboratrice Frédérique Jossinet comme coordonnatrice du plan fédéral de féminisation. Des opérations comme « Mesdames, franchissez la barrière » ou le réseau « Femmes et Foot » ont été mises en place pour inciter les femmes à prendre des fonctions d’encadrement.
A bien des points de vue, la dynamique engagée est exemplaire. Elle commence à créer un véritable cercle vertueux : le nombre de licenciées s’accroît (+13 000 en 2 ans !), les centres de formation se féminisent, l’audience des matches explose, des partenaires financiers s’engagent, la valorisation médiatique des matchs suit… Tout cela est très positif ».
Il est évident que les excellentes performances de l’Équipe de France féminine ou d’équipes comme celle de l’OL ont fortement contribué à créer cet engouement naissant
Par exemple, dans ma ville de Rouen, la demi-finale de la Coupe de France féminine opposant l’OL (l’ogre !) au FCR (le petit poucet !) a réuni 6000 fans au Stade Diochon ! Il y a quelques années, on aurait parlé d’exploit. Aujourd’hui, on peut dire que c’est un très bon score, auquel les féminines sont de plus en plus habituées ».
A l'instar d'autres pays comme l'Allemagne ou les États-Unis mieux structurés avec leur championnat, que manque-t-il à notre pays pour devenir une nation forte ? (réorganiser le championnat ? Donner plus de moyens aux clubs ?)
« Quand l’équipe nationale atteint les demi-finales de la Coupe du Monde en 2011 et des Jeux Olympiques en 2012, on peut dire qu’on fait déjà partie des nations fortes et régulières, même s’il y a évidemment des marges d’amélioration importantes.
Personnellement, je crois beaucoup au cercle vertueux qui consiste à agir sur la base pour faire émerger un haut-niveau le plus performant possible, partout en France. Ainsi, des initiatives comme le « Football des Princesses » ou la Semaine du Foot Féminin me semblent des outils aptes à susciter des vocations. Et il faut saluer la mise en place désormais, dans chaque ligue régionale, d’une ou d’un responsable du foot féminin pour développer les actions… On devrait voir les fruits de ces actions de terrain rapidement.
Et surtout, surtout, je crois que nous avons une opportunité historique avec l’accueil en 2019 de la Coupe du Monde de Football féminin en France ! C’est une véritable chance à la fois de faire exploser le niveau de pratique et de structurer le haut-niveau. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Allemagne avec la Coupe du Monde 2011.
La Coupe du Monde 2019 va jeter un énorme coup de projecteur sur le foot féminin, inciter des partenaires financiers à s’engager sur la durée, faire connaître les Bleues, encourager des jeunes filles à chausser les crampons… Pour le foot féminin tricolore, il y aura un avant et un après. Et pendant les 4 ans qui précèdent l’événement, la FFF, épaulée par le FIFA et, je l’espère, le plus grand nombre possible d’entreprises partenaires, va pouvoir continuer à structurer le foot féminin.
Les clubs et la ligue ont bien sûr une formidable carte à jouer. Tout n’est pas question d’argent… C’est aussi une question de volonté ! Je ne doute pas que le championnat va naturellement évoluer et être de plus en plus attractif. La Coupe du Monde va créer toutes les conditions favorables nécessaires à cette envolée. Aujourd’hui, on entend surtout parler de Juvisy, de l’OL et du PSG. Demain, nous aurons 10 ou 15 clubs de ce niveau. Je suis très optimiste : je vois cette tendance positive qui se dessine dans la professionnalisation progressive des clubs, dans l’engouement des médias, dans l’intérêt croissant des dirigeants, dans le nombre de spectateurs présents sur les matchs… La Coupe du Monde 2019 sera un tremplin pour accélérer encore cette dynamique ».
Pensez-vous que le Coupe du Monde 2011 et la très bonne 4e place obtenue par les française ait eu un impact sur les mentalités et sur la vision du sport féminin ?
« Évidemment ! Les performances de haut-niveau sont des déclencheurs et des accélérateurs sans équivalent.
Lors de la Coupe du Monde en 2011, et des JO en 2012, certains clichés sur le sport féminin sont tombés. On peut même dire que les performances de nos Bleues ont mis fin à une certaine forme de condescendance. Les médias ont vraiment joué le jeu pour valoriser leurs exploits, pour faire briller certains parcours individuels et je crois que c’est suffisamment rare pour être salué…
La chance que l’Équipe de France féminine a eue à cette période, si l’on peut dire, c’est que la comparaison avec leurs homologues masculins, à l’époque, tournait clairement à l’avantage des premières. Les résultats étaient là, le beau jeu aussi, certes moins en puissance, mais tout en technicité, et surtout en termes de valeurs collectives et d’image. C’est une équipe dont on pouvait être fière. En 2011 et en 2012, on a vu une équipe des Bleues qui incarnait magnifiquement des valeurs de sportivité, de ténacité, de beauté du geste, d’humilité, de solidarité… Tout ce qui faisait défaut aux Bleus, leur reprochait-on, après l’épisode, aussi honteux que douloureux, de la Coupe du monde sabotée en Afrique du Sud. Le désamour des Français pour les Bleus a sans doute servi à faire briller les filles un peu plus et elles le méritaient…
Et puis, il faut rappeler que la demi-finale de la Coupe du Monde féminine de Football en 2011 reste à ce jour la plus forte audience jamais atteinte par une chaîne de la TNT, avec plus de 2 millions de téléspectateurs ! Ça aussi, c’est un motif de satisfaction et de confiance dans l’avenir…. »
Quel message souhaiteriez-vous faire passer avant cette Coupe du Monde ?
« Je souhaite adresser un message aux Bleues. Évidemment, avant la Coupe du Monde, on leur parlera de l’importance d’être des modèles pour les jeunes filles qui jouent au foot, de leur rôle pour développer le foot féminin, des inégalités de salaires avec les hommes, du manque d’intérêt relatif des médias pour leurs performances ou, au contraire, de la pression médiatique croissante, etc. Voire de leur look et de la prétendue difficulté à rester féminine sur le terrain… Autant de questions qu’on ne pose jamais aux hommes avant une Coupe du Monde !
Alors, certes, tous ces sujets sont très importants, mais avant la compétition, elles ne doivent penser qu’à une chose : donner leur meilleur jeu, ne penser qu’au collectif, jouer cette Coupe du Monde à fond.
Le reste suivra…».
Propos recueillis par Nicolas Cotten
Photos : DR
