Le torchon brûle depuis maintenant plusieurs semaines autour des 6 millions d'euros débloqués par la Ligue de Football Professionnel (LFP) pour participer au développement du football féminin. Une somme qui serait destinée principalement aux sections féminines des clubs professionnels évoluant en D1 et D2, et exclurait les clubs amateurs de D2. Une décision contestée, avec désormais la menace d'actions en justice voire de grève si la situation ne pouvait évoluer....

 

C'est une aide qui continue de semer la discorde au sein de la D1 et de la D2. Six millions d'euros accordés par la LFP (Ligue de Football Professionnel, qui organise les compétitions en Ligue 1 et Ligue 2 masculines), et dont la vocation assumée était d'aider les clubs professionnels à développer leur section féminine respective.

Cette somme, débloquée le 26 juin dernier, proviendrait de l'augmentation des revenus liés aux droits TV des championnats professionnels masculins. Problème, cette aide ne concernerait qu'une partie des équipes issues des deux premières divisions féminines.

 

Un bonus inégalement réparti

La D1 compte 9 sections féminines de clubs professionnels (sur 12 équipes engagées), elles sont 13 (sur 24) dans les 2 groupes de D2. Ces équipes disposeraient de moyens financiers accrus, grâce à cette aide de la LFP, 500.000 euros pour les sections féminines de clubs pros en D1, contre 175.000 pour les clubs dits « amateurs » (Soyaux, Issy et Fleury).

En D2, les sections féminines de clubs pros recevraient 80.000 euros, alors que les autres formations ne bénéficieraient pas des sommes venues de la LFP. L'objectif de la Ligue semble clair, aider les clubs professionnels à développer leur section féminine, un choix qui se fait de facto au détriment des autres formations.

Les différentes sommes seraient versées via l'AFPF (Association du Football Professionnel Féminin), une structure lancée début 2020, et présidée par Laurent Nicollin, également président du Montpellier Hérault. Dans sa direction, on retrouve des représentants de clubs professionnels, dont les équipes féminines sont engagées en D1 (OL, PSG, Le Havre...) ou en D2 (Metz, Saint-Étienne).

Ces chiffres avaient circulé au début de l'été et semblent encore à l'ordre du jour. Une situation dont s'alarme aujourd'hui 14 clubs, signataires d'un communiqué qui dénonce le « deux poids deux mesures de la LFP vis-à-vis du football féminin ». Ces clubs (3 en D1, et 11 en D2) sont ceux qui seraient mécaniquement lésés, au vu des critères retenus pour la distribution de l'argent parmi les différentes formations.

 

Préserver « l'équité sportive »

De fait, en demandant l'intervention de la FFF, les 14 clubs signataires réclament que la fédération joue un rôle de filtre, c'est-à-dire récupérer l'argent débloqué par la LFP et répartir les sommes selon ses propres critères, en incluant un « traitement égalitaire » entre les clubs concernés par le versement de ces aides.

Une telle mesure viserait notamment à préserver « l'équité sportive » dans les différents championnats. Il s'agit aussi de répondre au constat qu'aucune équipe de D1 ou de D2 ne dispose formellement du statut professionnel, malgré des disparités dans la pratique, entre les équipes au sein desquelles l'ensemble des joueuses sont sous contrat, et celles où cohabitent joueuses avec ou sans contrat de travail.

Sur le plan financier, une répartition égalitaire aboutirait par exemple à verser 370.000 euros par club en D1, et 65.000 euros à chacun des 24 pensionnaires de D2. Une distribution égalitaire entre les 36 clubs concernés (D1 et D2) reviendrait à verser environ 166.000 euros par club. D'autres pistes ont également été explorées, comme par exemple une compensation financière qui serait assumée par la FFF, pour permettre aux clubs amateurs de disposer d'une manne supplémentaire plus proche de celles versées aux sections féminines des clubs professionnels.

Parmi les signataires du communiqué, Pascal Bovis, le président du FC Fleury, envisage la manière forte, évoquant, chez nos confrères du Parisien, une possible « procédure en justice », voire même une grève en D1 et en D2. Dans l'immédiat, les tractations se poursuivent avec Noël Le Graët, mais aussi en sollicitant le nouveau président de la LFP, Vincent Labrune.

 

L'exemple espagnol

Dans leur communiqué, les 14 clubs coalisés évoquent notamment l'exemple espagnol, et la décision de la RFEF (fédération espagnole) de lancer un « Programme Élite » destiné au football féminin. En prenant part à ce programme, un club de première division (Primera Iberdrola) reçoit la somme de 500.000 euros par an, alors qu'un club de deuxième division peut percevoir 100.000 euros.

Les objectifs fixés par la fédération sont notamment de « renforcer la professionnalisation des joueuses », « augmenter le nombre de pratiquantes » ou encore accroître l'engouement du public.

Dans la pratique, ce programme participe notamment à rendre soutenable l'accord trouvé en début d'année, avec la signature de la convention collective du football féminin. Ce texte instaure, de fait, un statut professionnel pour l'ensemble des joueuses de première division espagnole, avec un salaire minimum de 16.000 euros pour les joueuses à plein temps (12.000 pour celles à temps partiel, 75 % d'un temps plein minimum).

=> Espagne : La convention collective du football féminin enfin signée, les joueuses reçues au Parlement

Sans ce financement, mais aussi les sommes versées par Mediapro (1,1 million d'euros), qui diffuse une partie des rencontres de Primera Iberdrola, la convention collective ratifiée en début d'année ne serait probablement pas applicable dans l'immédiat. Plus qu'une logique d'équité, c'était donc la stabilité globale de l'édifice qui était d'abord en jeu de l'autre côté des Pyrénées.

 

Comment sortir par le haut ?

Peut-on imaginer un tel accord en France ? Avec l'ensemble des actrices et acteurs qui s'engageraient dans un processus de professionnalisation de la pratique, sur la base d'objectifs affichés, notamment pour les joueuses qui évoluent au plus haut niveau. Dans le cas de l'Espagne, le constat est que de nombreuses tensions subsistent, notamment entre la RFEF et les représentants de la majorité des clubs (réunis au sein de l'ACFF). Ces derniers, proches de la Ligue Espagnole (LaLiga), souhaitent conserver leur autonomie vis-à-vis de la fédération, et font valoir régulièrement leur point de vue sur l'organisation du championnat.

L'autre exemple, moins favorable aux clubs amateurs, est celui de l'Angleterre où la mise en place d'une première division professionnelle (FA WSL), et d'une seconde semi-pro (Championship) ne s'est pas construite « naturellement », en laissant s'opérer une sélection par les résultats sportifs.

La fédération anglaise a sélectionné les équipes qualifiées en combinant leurs résultats sportifs et leur capacité à répondre aux critères structurels et financiers minimums fixés pour intégrer la première ou la deuxième division. Un mécanisme qui a participé à accélérer l'ascension de sections féminines de clubs masculins de premier plan, comme les deux Manchester (City et United), Brighton ou West Ham.

De notre côté de la Manche, le bras de fer qui s'est engagé autour de ces 6 millions d'euros semble donc se poursuivre, en l'absence d'un accord financier satisfaisant pour l'ensemble des clubs, et surtout qui donne le sentiment que chacun/chacune continue d'avoir sa carte à jouer dans l'avenir proposé pour le football féminin en France.

 

Photo: MHSC (Marina Makanza [Fleury] et Marion Torrent [Montpellier] lors du match entre les deux équipes, le 5 septembre dernier).

Hichem Djemai