Dans une tribune publiée ce dimanche dans le journal l’Équipe, trente joueuses de D1 et de D2, souvent capitaines de leurs équipes, ont pris position contre l'éventualité d'une D1 à dix équipes. Le texte affirme notamment qu'une première division « amputée ne contribuera pas à l'éclairage régulier de notre sport ».
La prise de position est claire, comme la crainte de voir le championnat français dévalué. Trente joueuses, douze de D1 et dix-huit de D2 ont pris position dans une tribune rare pour mériter une lecture attentive. Parmi les signataires, on retrouve beaucoup de capitaines, mais également la Lyonnaise Eugénie Le Sommer, vice-capitaine de l'équipe de France et secrétaire générale de l'UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels).
Dans ce texte, les joueuses affirment notamment que le passage à dix équipes reviendrait à « demander de jouer à dix contre les meilleures équipes du monde », estimant également que cela reviendrait à « appauvrir » et « rétrécir les horizons » du championnat français, tout en prenant le risque de voir fuir les « talents ».
« Promesses non tenues »
Derrière cette inquiétude, le sentiment de voir un championnat français stagner moins de deux ans après la Coupe du Monde 2019 en France et alors que le processus de professionnalisation de l'élite s'accélère autour de nous, en Angleterre, en Espagne et désormais enclenché en Italie. Un constat relayé dans la tribune, critiquant le « manque [de] puissance et de mouvement du foot français au féminin ».
La tribune évoque d'ailleurs des « promesses non tenues » et un « héritage d'objectifs non atteints » à l'issue « d'un Mondial [2019] réussi » et qui aurait notamment permis de « réveiller » un « engouement populaire » autour du football féminin. Autrement, le risque serait de réduire l'épisode de ce Mondial à un « simple coup de projecteur » isolé.
De fait, la proximité de la Coupe du Monde accentue ce contraste entre les potentialités qui s'offrent pour le développement de la pratique, à tous les niveaux, et les faiblesses accentuées par la crise sanitaire en cours. Si la D2 a été stoppée pour la deuxième saison consécutive, et rendue blanche cette année, la situation est différente autour de nous.
Une D2 « fragilisée »
La deuxième division a repris en Allemagne depuis quelques semaines, alors qu'elle avait pu se poursuivre sans interruption en Angleterre, en Espagne ou en Italie. Si une partie de l'explication à ces différences résident dans les contextes sanitaires propres à chaque pays, elles soulignent également un manque de volontarisme pour créer les conditions d'une reprise en D2.
Parmi les conséquences de cet arrêt durable, les capitaines signataires estiment que la D2 a été « fragilisée » alors qu'elle constitue un « véritable vivier de nos talents ». Elles évoquent également des clubs « qui maillent le territoire » et jouent un rôle déterminant pour « inspirer des envies de jouer » mais aussi contribuent à « éduquer des jeunes filles » qui choisissent de pratiquer le football.
De fait, c'est cette saison blanche en D2 qui ouvre la porte à une D1 à dix clubs. La question est de savoir comment conclure la saison en D1, avec deux clubs théoriquement relégués (dont Le Havre, actuelle lanterne rouge de D1), mais aucune équipe de D2 qui répond aux critères pour obtenir la montée, vu le peu de nombre de matches disputés cette saison.
Comment éviter une D1 à dix équipes ?
Pour parvenir à une solution, les 30 signataires appellent à s'émanciper de « la rigidité des règlements » et de « faire preuve de logique » pour parvenir à des « décisions de bon sens ». A quoi ressembleraient ces décisions ? Si aucune proposition formelle n'est avancée dans la tribune, quelques éléments sont formulés tels que la défense d'une « méritocratie » sportive.
Un critère qui rejoint certaines propositions évoquées ces dernières semaines, comme l'organisation de play-offs, soit un tournoi entre équipes de D2 candidates à la montée, et qui permettrait, de manière exceptionnelle, de déterminer les deux équipes montantes pour la saison prochaine. Ce type de propositions, hors-règlement, ne peut fonctionner que si l'ensemble des actrices et acteurs s'accordent sur la méthode la plus juste sportivement, tout en ayant à l'esprit une volonté de poursuivre le développement de la discipline.
Un consensus requis et que cette tribune peut participer à forger, si comme l'indique les 30 signataires, leur démarche bénéficient également du soutien « des clubs », des « entraineurs.euses » de D1 et D2. La tribune se conclut d'ailleurs en revendiquant « un sens de la créativité » et une vision à « long terme », nécessaires pour « conjuguer le football au féminin et au futur ».
Photo: AFP / Patrick Herzog
Le texte de la tribune :
« Nous n'avons pas atteint le haut-niveau pour nous faire la passe à dix. Nous vivons et vibrons pour un foot performant et percutant, combatif, compétitif et fédérateur. Une D1 privée de deux clubs et une D2 bridée, c'est un football qui recule.
La rigidité des règlements ne doit pas nous empêcher de faire preuve de logique. Des décisions de bon sens doivent être prises pour permettre à notre sport d'exister sans hésiter, de s'affirmer sans balbutier, de se projeter fièrement dans l'avenir.
Les actes sans vision ne sont pas à la hauteur de l'engouement populaire que nous avons réveillé en 2019. Dans le sillage d'un Mondial réussi et de Championnats qui progressent et qui sont mis en lumière tous les week-ends, nous, toutes les joueuses, ne pouvons nous résoudre à nous partager un héritage d'objectifs non atteints et de promesses non tenues.
Le jeu direct, créatif, incisif a séduit le public. Et pourtant, en dehors du terrain, le foot français au féminin manque encore de puissance et de mouvement. À l'heure où les Championnats européens se professionnalisent et se développent à grande vitesse, le nôtre, avec la décision de priver la D1 de deux clubs la saison prochaine, montrerait qu'il s'appauvrit et rétrécit ses horizons.On nous demande de jouer à dix contre les meilleures équipes du monde.
Comment inspirer les futures licenciées et garder nos talents dans de telles conditions ? Nous, joueuses de D1 et de D2, appuyées par nos clubs et nos entraineurs.euses, soutenues par ceux qui défendent les intérêts présents et futurs de tous les joueurs et les joueuses, parlons d'une même voix pour porter une ambition forte.
Nous défendons la méritocratie comme valeur et vertu de notre sport. C'est cette grande histoire du mérite qui passionne les fans, crée de l'attente et électrise les compétitions. Nous réaffirmons notre volonté d'aider à structurer notre discipline. Pour que ce mondial ne soit pas qu'un simple coup de projecteur.
Une D1 amputée ne contribuera pas à l'éclairage régulier de notre sport. Au contraire. Au lieu d'attirer deux clubs vers le haut, elle tirerait tout le monde vers le bas. En fragilisant des athlètes de haut niveau qui ont besoin de temps de jeu. En fragilisant la D2, véritable vivier de nos talents. En fragilisant tous ces clubs qui maillent notre territoire, qui contribuent à éduquer nos jeunes filles et qui comptent sur nous pour inspirer des envies de jouer toujours plus nombreuses.
Conjuguer le football au féminin et au futur, c'est avoir le sens de la créativité et du long terme. Notre sport grandit pas à pas, palier par palier. Lui faire manquer une marche pourrait revenir à sacrifier une génération entière. Donnons-lui plutôt les moyens d'entrer dans l'Histoire. »
Les signataires :
Charlotte Bilbault (Bordeaux) ; Anna Björk Kristjánsdóttir (Le Havre) ; Gwenaëlle Butel (Issy-les-Moulineaux) ; Manon Cazes (Albi) ; Maureen Cosson (La Roche-sur-Yon) ; Marine Coudon (OM) ; Ophélie Cuynet (Dijon) ; Gwenaëlle Devleesschauwer (Lille) ; Solène Durand (Guingamp) ; Charlène Farrugia (Rodez) ; Noémie Freckhaus (Vendenheim) ; Charlotte Fromantin (Montauban) ; Morgane Gaudin (Strasbourg) ; Christy Gavory (Lens) ; Léa Le Garrec (Fleury) ; Claire Lelarge (Saint-Malo) ; Aude Moreau (Le Puy) ; Angéline Quentin (Orléans) ; Eugénie Le Sommer (Lyon) ; Charlotte Lorgeré (Nantes) ; Laureen Navas (Grenoble) ; Irene Paredes (PSG) ; Justine Rougemont (Metz) ; Maureen Saint-Léger (Nice) ; Tatiana Solanet (Thonon Évian) ; Lalia Storti (Saint-Étienne) ; Siga Tandia (Soyaux) ; Marion Torrent (Montpellier) ; Gaëtane Thiney (Paris FC) ; Phallon Tullis-Joyce (Reims).
Hichem Djemai