L'Argentine semblait avoir quitté la Coupe du Monde sur une note encourageante. Pourtant, quelques semaines après la fin du Mondial, les fractures se sont révélées au grand jour. Un début de crise après que le sélectionneur Carlos Borrello a choisi de ne pas retenir la capitaine Estefania Banini pour les Jeux Panaméricains qui se dérouleront dans les prochains jours au Pérou.

 

Le 15 juillet dernier, Carlos Borrello, le sélectionneur argentin annonçait la liste de l'Albiceleste pour les Jeux Panaméricains qui se dérouleront du 26 juillet au 11 août à Lima, la capitale du Pérou. Un tournoi inter-régional pour lequel l'Argentine a des chances de médaille, puisque des pays comme le Brésil, le Canada ou les championnes du monde étasuniennes n'y prendront pas part.

 

La charge de Banini contre le sélectionneur argentin

Une liste de 18 où l'on retrouve de nombreuses Mondialistes, mais plusieurs cadres manquent à l'appel. C'est notamment le cas de Sole Jaimes, convoquée mais restée finalement dans son nouveau club de Santos au Brésil, ou encore de la capitaine argentine Estafania Banini, qui de son côté n'a pas été retenue par Carlos Borrello. Première surprise par cette décision, l'attaquante de Levante a riposté sur les réseaux sociaux.

Son message posté sur Instagram a pris un ton rageur, évoquant « ceux » qui « ne sont pas à la hauteur » et qui leur disent « de jouer défensif parce [qu'ils] ne veulent pas en manger 11 de nouveau » [en référence au 11-0 subi par l'Argentine face à l'Allemagne en 2007, lors de la précédente participation des Ciel et Blanc en Coupe du Monde]. Par ces mots, Banini vise directement Carlos Borello, déjà remis en cause par ses joueuses pendant la Coupe du Monde en France.

Dans un interview pour le journal argentin Clarin, Banini a notamment évoqué cette semaine des entraînements « de mauvaise qualité » et une préparation physique « encore pire ». Manque « d'organisation » et « d'intensité », elle estime que le staff actuel « ne peut rien leur apprendre ».

 

La révolte couvait pendant le Mondial

Alors que l'Argentine remportait ses premiers points en Coupe du Monde cet été en France, la fronde s'organisait au sein de l'Albiceleste. Dans la foulée de l'incroyable remontada face à l’Écosse, une réunion entre les joueuses se serait tenue, nourrie des critiques vis-à-vis des méthodes de travail du sélectionneur argentin.

Le journal La Nacion rapporte notamment cette phrase qui aurait été prononcée par une internationale Ciel et Blanc : « C'est comme avoir un staff technique d'une équipe de quartier qui dirige une sélection nationale ». Des méthodes « dépassées » en partie rapportées par le site The Equalizer qui pointe le décalage entre les pratiques de l'équipe de Borrello et celles des staffs des meilleures sélections actuelles, comme par exemple le programme de l'équipe rédigé à la main sur papier libre, et transmis tel quel aux joueuses les veilles de match.

Un exemple parmi d'autres qui illustre selon certaines joueuses, le décalage entre la réalité du fonctionnement de la sélection argentine et l'objectif de se rapprocher du plus haut niveau international. Comme le souligne Banini, c'est une situation qui saute d'autant plus facilement aux yeux des cadres de la sélection argentine, étant pour la plupart familières des méthodes d'entraînement et de suivi plus élaborées, de part leurs expériences de footballeuses professionnelles en Europe et aux États-Unis.

Estafania Banini n'est pas la seule joueuse dont l'absence a fait figure de surprise. Il faut y ajouter celles de Lorena Benitez et de Belen Potassa. Cette dernière vient de signer en deuxième division espagnole à Albacete, et s'est également exprimée via les réseaux sociaux. On y retrouve une partie des formules utilisées par Banini, et notamment une référence à Megan Rapinoe, avec sa démarche de refuser de se rendre à la Maison Blanche en cas de victoire finale en France.

 

La solidarité de Florencia Bonsegundo

Un appel à la fronde auquel a répondu Florencia Bonsegundo, auteure de deux des trois buts argentins lors de la Coupe du Monde. Cadre de la sélection, Bonsegundo avait été convoquée pour les Jeux Panaméricains mais a choisi de décliner la sélection en solidarité avec ses coéquipières, ciblant à son tour « le staff technique » et ceux qui ne « sont pas à la hauteur et au niveau que requiert une sélection nationale ».

Un soutien exprimé ouvertement et pour le moment isolé au sein d'une équipe qui poursuit sa préparation en Argentine, avant de se rendre au Pérou pour les Jeux Panaméricains. Selon The Equalizer, ce sont bien les joueuses les plus critiques qui ont été visées par la décision du sélectionneur argentin.Le message de l'attaquante de Valence exprime également le souhait que « la voix d'une femme » soit prise autant en compte que celle « d'un homme », en l’occurrence celle des joueuses face à celle du sélectionneur, Carlos Borrello.

Une situation qui par certains aspects rappelle celle de l'Espagne lors du Mondial 2015, avec des joueuses et notamment la capitaine de l'époque, Vero Boquete, qui avaient obtenu la démission d'Ignacio Querada, sélectionneur de la Roja depuis 1988. De son côté, Borello a été de manière discontinue, le coach de l'Albiceleste depuis 1998, remportant la Copa América en 2006 et participant aux trois Mondiaux joués par l'Argentine (2003, 2007 et 2019).

Elle montre également, de par les termes utilisés, la proximité entre une partie des joueuses et le mouvement féministe en Argentine. Le débat sur une possible légalisation de l'avortement a été au cœur de l'actualité l'an dernier dans le pays, franchissant par moment les portes des stades. Ce rapprochement s'est illustré notamment autour du cas de Macarena Sanchez, dont le conflit avec son ancien club l'UAI Urquiza et la fédération argentine (AFA) l'a propulsé sur le devant de la scène médiatique.

 

Des choix pour l'avenir

Dans le cas de Carlos Borrello, le choix de l'AFA et de son président Claudio Tapia pourrait être d'attendre. Le contrat de l'actuel sélectionneur se termine au mois de décembre, ce qui pourrait faciliter une transition moins douloureuse. Après des résultats encourageants en France, une médaille au Pérou constituerait une première pour l'Albiceleste. Elle contribuerait à conclure un cycle positif pour l'Argentine, après la troisième place au Chili lors de la Copa America 2018, alors que l'équipe avait été mise en sommeil entre 2015 et 2017.

Dans l'immédiat, le technicien argentin ne se voit pas s'arrêter en si bon chemin. S'exprimant hier sur ses choix, il a estimé que l'objectif était d'avoir un « effectif plus large » pour commencer à préparer dès maintenant le prochain Mondial (2023) et que les Jeux Panaméricains étaient bonne occasion pour voir d'autres joueuses. Au sujet des critiques, Borrello évoque des joueuses « en colère », qui « pensent avec le cœur » alors que lui le fait « avec la tête froide ».

La situation est suivie de près par la fédération comme l'indique la présence de Claudio Tapia à l'un des entraînements de la sélection argentine. À l'issue des Jeux Panaméricains, l'Albiceleste va connaître une période sans tournois majeurs jusqu'en 2022, un moment attendu et redouté pour déterminer si le football féminin argentin est en mesure d'enclencher un nouveau cycle.


Photo: AP

Hichem Djemai