Après des révélations ces dernières semaines dans la presse britannique, Eniola Aluko est revenue hier dans le journal anglais The Guardian sur les accusations de racisme qui visent Mark Sampson et le staff de l'équipe d'Angleterre. Un dossier que la fédération avait tenté de garder secret, en vain...

 

C'est une affaire qui a éclaté au cœur de l'été, en marge de l'Euro 2017, dont l'une des absentes côté anglais était Eniola Aluko, l'attaquante de Chelsea, disparue de la sélection au printemps 2016 après plus de cent capes avec les Lionnes anglaises.

 

Un silence à 100.000 euros

Aluko, écartée de la sélection par Mark Sampson, mais qui compte toujours parmi les joueuses payées par la fédération au titre de leur statut d'internationales. Un contrat récemment renouvelé alors que l'attaquante des Blues avaient clairement signifié qu'elle ne souhaitait pas remettre les pieds en sélection tant que Mark Sampson serait à sa tête.

Avec ces 20.000 livres sterling (21,800 euros) annuels au titre de son central contract d'internationale, Eniola Aluko aurait reçu la somme de 80.000 livres (87,300 euros) de la part de la fédération au titre d'un accord avec la joueuse pour éviter de rendre public des accusations de racisme au sein de la sélection. Un accord qui aurait eu pour objectif selon la fédération anglaise d'éviter de « perturber » la préparation de l'Euro, un point de vue que ne partage pas l'attaquante de Chelsea qui estime aujourd'hui que son dossier aurait été suffisamment solide pour faire condamner la fédération devant les tribunaux.

Une sombre histoire qui trouve son point départ en mai 2016 dans un exercice de « culture review », qui avait vocation à discuter du fonctionnement et de la vie de groupe au sein de la sélection anglaise. Lors de cette réunion, Eniola Aluko décide d'évoquer les problèmes qu'elles a constaté en équipe nationale, pointant des situations qui s'apparentent à du harcèlement (bullying) ou des discriminations.

Une démarche plus tard formalisée par un courrier de huit pages qui décrit les situations en question, qui concernent directement Eniola Aluko ou d'autres joueuses sélectionnées en équipe nationale. Une semaine plus tard, Aluko reçoit la visite de Mark Sampson au camp d'entraînement de Chelsea qui lui annonce que pour le moment elle ne serait plus sélectionnée avec l'équipe d'Angleterre en raison d'un comportement incompatible avec l'esprit de la sélection (unlioness behaviour).

Un choix expliqué par Mark Sampson et plus tard par la fédération comme étant lié au manque d'implication et à l'attitude d'Aluko pendant les rassemblements de la sélection. Depuis la joueuse de Chelsea n'a plus mis les pieds en équipe d'Angleterre.

 

"Qu'ils ne ramènent pas Ebola avec eux"

Parmi les exemples évoqués par Eniola Aluko, une remarque faite par Mark Sampson en novembre 2014 avant un match face à l'Allemagne. Répondant à une question du sélectionneur lui demandant si des membres de sa famille seraient présents au match (qui se jouait à Wembley), Aluko répondit que des proches allaient faire le voyage depuis le Nigeria, le pays dont elle est originaire. Sampson lui répond alors de « s'assurer qu'ils n'amènent pas [le virus] Ebola avec eux ».

Une « blague » raciste qui ne serait visiblement pas la seule sortie douteuse du coach de l'Angleterre. Lors de la Dewellbon Cup, tournoi amical organisée en Chine en octobre 2015, Sampson se serait lâchée lors d'une réunion avec les milieux de terrains anglais. Dans la salle, quatre joueuses, dont une joueuse métisse (mixed-race) qui par ailleurs honore sa première sélection à l'occasion de ce tournoi. Le coach évoque le pressing et fait le parallèle avec le fait d'être appréhendé par la police (police caution), puis s'adressant spécifiquement à la joueuse métisse (qui a souhaité rester anonyme pour le moment), qu'elle a déjà dû se faire arrêter, probablement plusieurs fois. Cette joueuse n'a plus jamais été convoquée en sélection depuis cet incident.

 

Le rôle actif de la fédération anglaise

Des exemples parmi d'autres qui selon Eniola Aluko sont symptomatiques d'un fonctionnement au sein de la sélection anglaise depuis l'arrivée de Mark Sampson. Des agissements qui auraient été couverts par la fédération, à la fois par le paiement des 80.000 livres à Aluko mais aussi par le fait de blanchir publiquement Mark Sampson avant d'avoir entendu les témoins-clés cités par Eniola Aluko pour appuyer ses affirmations.

Le 17 août dernier, quelques jours avant l'interview donnée par Aluko au Guardian, un rapport indépendant rédigé au printemps 2017 par Katharine Newton, une avocate, était mis en ligne sur le site de la fédération pour exonérer à nouveau Mark Sampson de toute conduite inappropriée. Un rapport et une démarche qu'Eniola Aluko a décrit comme une « farce », et une manière de chercher à la décrédibiliser en demandant à une avocate, elle-même noire, de montrer qu'il n'y avait pas de traces de racisme dans cette histoire.

Avocate de formation avant de devenir récemment joueuse professionnelle, Eniola Aluko évoque justement dans son interview au Guardian des procédures choisies par la fédération qui n'ont pas eu vocation à rechercher la vérité mais plutôt de gagner du temps avant de classer l'affaire.

Au départ confinées dans le secret, ces accusations éclatent désormais au grand jour après avoir fuitées dans la presse et mettent sur la sellette le staff et le sélectionneur de l'équipe d'Angleterre. Reste également à savoir si la fédération anglaise conservera la main dans le traitement de cette affaire, ayant visiblement joué un rôle actif pour protéger Mark Sampson.

Hichem Djemai