Le 24 août 1968, les joueuses du FCF Reims disputaient leur premier match sur la pelouse du stade Auguste-Delaune, antre du « grand Reims » de Raymond Kopa dans les années 1950. Une première inattendue, loin du tumulte de Mai 1968, et qui constitue pourtant un moment fondateur pour le renouveau du football féminin en France.

 

C’est un anniversaire que le football français aurait peut-être préféré fêter avec une finale de Coupe du Monde U20, ce soir à Vannes. Qu’importe, cette date du 24 août reste un moment marquant de l’histoire du football féminin dans l’Hexagone.

 

Un match de kermesse

Le 9 juillet 1968, du côté de Reims, une annonce est postée sur la page des sports du journal l’Union, quotidien local. Titrée « Du football féminin à Reims ? », elle exprime le « désir » de « mettre sur pied un match inédit entre deux équipes féminines de football », proposant aux volontaires de se présenter dans les locaux du journal dans les jours qui suivent.

Derrière cette initiative, on retrouve notamment Pierre Geoffroy, journaliste à l’Union et qui occupa un rôle déterminant dans la mise sur pied de l’équipe rémoise. Il deviendra plus tard le premier sélectionneur de l’équipe de France féminine. Mais au départ, la démarche n'est pas si sérieuse... Le match de football féminin se veut une « attraction », qui fait suite à un ''combat de catch de liliputiens'' organisé lors de la précédente kermesse de l'Union-Sports  en 1967.

Pourtant dès le lendemain de l’annonce, un nouvel encart paraît dans la page des sports avec le titre « Déjà des inscriptions pour l’équipe féminine de football ». Une deuxième annonce qui traduit le succès de l’initiative mais aussi la rareté des équipes féminines à l'époque. Le texte parle en effet de jouer « au moins une fois en équipes » et de pourquoi pas « de poser la première pierre d’un club féminin de football à Reims » à l’issue de cette « expérience intéressante ».

 

La surprise Delaune

Ce match inédit n’était au départ pas programmé pour se jouer au stade Auguste Delaune devant plusieurs milliers de spectateurs comme cela se produira le 24 août. L’idée était d’offrir une « attraction » lors de la kermesse de l’Union-Sports, avec une partie programmée le lendemain, dimanche 25 août, sur un des terrains de la ville. La rencontre se déroulerait en parallèle d’un tournoi masculin qui ferait également partie des animations de la kermesse. 

L’idée de jouer à Delaune viendra dans le courant du mois d’août. Au fil des publications dans le journal l’Union, le contour de l’événement se dessine. On apprend le nom de l’adversaire, le FC Schwindratzheim, une équipe alsacienne, et que l’équipe rémoise sera « patronée » par le Coq Sportif. C’est ensuite le nom de la formation champenoise, appelée Football Club Féminin de Reims (FCF Reims).

Puis le 19 août, on apprend que les deux équipes joueront au stade Auguste Delaune, en lever de rideau de la rencontre amicale masculine entre le Stade de Reims et Valenciennes, programmé le 24 au soir. Un « match attraction », présenté en « lever de rideau », et l'article lie la présentation d’un match de football féminin avec la difficulté de l’équipe masculine du Stade de Reims, qui évolue en deuxième division, à « plaire » et « satisfaire le public ». C’est ensuite le jour du match, toujours dans les colonnes de l'Union, la liste des joueuses avec Michèle Monier, capitaine de l’équipe. Une équipe très jeune, à l'image de la gardienne Ghislaine "Gigi" Royer-Souef, 15 ans à l'époque, et composée de sportives, familiarisées au football et qui pratiquent parfois d'autres disciplines comme l'athlétisme, le handball ou le basket-ball avant de se présenter pour ce match-attraction. 

 

L'enthousiasme du public rémois

Le jour du match, les joueuses rémoises ont droit à la une de l’Union, certes en bas à droite, mais elles sont-là au milieu de nouvelles plus inquiétantes du monde. Sous la plume de Pierre Geoffroy, l’événement est présentée dans les jours qui suivent comme un succès avec 5000 spectateurs présents dans les travées de Delaune pour assister au match-exhibition.

Face au FC Shwimdratzheim, les Rémoises s’imposent 3-1 avec des buts de Liliane Roth-Laval (doublé) et Michèle Darbre. Mais au-delà du résultat, les actrices du match sont apparues comme « d’authentiques footballeuses » selon Pierre Geoffroy. Il ne s’agit plus de spectacle mais d’une véritable pratique sportive qui mérite d’être présentée et soutenue comme telle. Un succès réel mais qui prend d’abord une dimension locale, peu relayé en dehors de la Champagne.

 

L'aventure ne fait que commencer

Cette démarche s’est poursuivie par la suite, sous la pression des joueuses prêtes à continuer l'aventure. Dans les semaines qui suivent cela se traduit notamment par la volonté de créer de véritables compétitions de football féminin, d’abord à l’échelle locale, avant de rencontrer des équipes d’autres régions et pays.

Mais en l'absence d'équipes constituées, c'est d'une certaine manière les joueuses rémoises qui incitaient d'autres groupes de filles à se constituer en équipes, via d'autres matches-exhibitions en lever de rideau organisés dans la région et chargés de populariser la pratique. Un mouvement de diffusion que l'on retrouve à l'époque dans d'autres régions françaises et qui pousse les instances de la FFF à reconnaître le football féminin en mars 1970.

Modestement, l'idée fait son chemin, de même que les joueuses rémoises qui joueront aux quatre coins du monde dans les années qui suivent représentant Reims (intégrant le Stade de Reims à partir de 1970) ou la France. On retrouve également de nombreuses Rémoises dans ce qui constituera la première équipe de France officielle au début des années 1970. Parmi les joueuses tricolores qui joueront le 17 avril 1971 le premier match officiel de l'équipe de France face aux Pays-Bas, on retrouve notamment Michèle Monier, Ghislaine Royer-Souef et Marie-Claire Harant qui étaient présentes sur la pelouse de Delaune le 24 août 1968. 

 

Retour à Delaune en 2019

50 ans après, si les termes sont différents, les questions posées avec l’apparition des pionnières rémoises sur la pelouse de Delaune restent toujours d’actualité. Si la pratique est désormais sortie de la clandestinité, la démarche des joueuses rémoises continue de faire écho à la situation actuelle du football féminin. Une histoire récemment explorée à sa manière par le film Comme des Garçons, sorti au printemps et également saluée par le choix de jouer des matches de la Coupe du Monde 2019 à Reims.

Ces dix dernières années, le football féminin a connu un développement exponentiel avec désormais la question de la professionnalisation des pratiques qui se pose à l’ensemble des clubs et structures qui visent le haut niveau. Un enjeu qui renvoie à la reconnaissance de la discipline, être visibles, disposer des moyens adéquats quand le football est omniprésent dans nos sociétés, et pouvoir à son tour prendre part à la fête depuis le devant de la scène.

 

Photo: Stade de Reims

Hichem Djemai