« Strike Hard » ! Frapper fort, un slogan que s’est approprié l’équipe jamaïcaine, sous l’impulsion de sa marraine Cedella Marley, fille aînée et principale dirigeante de l’empire légué par son père, l’immense Bob Marley. Un slogan devenu également une chanson, chantée par par Cedella, mais également Stephen et Damian Marley, deux membres éminents de la dynastie Marley, venue discrètement apporter leur soutien aux Reggae Girlz jamaïcaines.

 

Cet après-midi (15h30) sur la pelouse du Stade des Alpes de Grenoble, les Reggae Girlz de Jamaïque s’apprêtent à disputer leur premier match en Coupe du Monde. Comme dans un rêve, elles vont affronter le Brésil [le résumé du match], une équipe qui fait figure de référence pour les fans de football en Jamaïque comme le rappelait Hue Menzies, le sélectionneur de l'équipe jamaïcaine au moment du tirage au sort de la Coupe du Monde.

 

Sorties de l’ombre

L’annonce du transfert de Khadija Shaw, l'insatiable buteuse des Reggae Girlz, recrutée par les Girondines de Bordeaux participe à cette impression que les joueuses  jamaïcaines peuvent enfin bénéficier de la lumière dont elles ont longtemps été privées. Une trajectoire aussi incroyable que tortueuse pour une équipe qui n’avait plus joué de match officiel depuis novembre 2015, avant de se lancer sa campagne de qualification pour le Mondial au printemps 2018.

En l’espace de dix ans, l’équipe nationale a été deux fois dissoute (en 2008 et 2016), ce qui avait notamment empêché la Jamaïque de participer aux éliminatoires pour la Coupe du Monde 2011 et abouti en 2017 à la sortie de la sélection caribéenne du classement FIFA. L’équipe jamaïcaine n’est pas seule dans ce cas, comme en témoigne par exemple l’histoire de la sélection chilienne, confrontée aux mêmes types de difficultés ces dernières années.

En Jamaïque, le salut de l’équipe nationale féminine est notamment passée par l’intervention de Cedella Marley, fille du célèbre artiste Bob Marley, et aujourd’hui à la tête du label Tuff Gong International, l’un des héritages laissés par le chanteur. Cedella Marley est aujourd’hui la principale dirigeante de l’empire Marley, puisqu’elle est également à la tête de la Bob Marley Foundation.

 

Cedella Marley à la rescousse

Son histoire croise celle des Reggae Girlz en 2014. Son fils Skip Marley joue alors au football, et son coach est également le père d’une jeune internationale jamaïcaine qui évolue avec les U17. Skip rentre chez lui avec un flyer qui explique que l’équipe féminine jamaïcaine a besoin d’aide notamment sur le plan financier avec le risque de tout simplement disparaître.

Cedella Marley prend alors le sujet à bras le corps, avec une situation où elle se sent doublement concernée, d’abord parce que son père, Bob Marley, était un mordu de football. La légende veut même que si Bob Marley n’avait pas réussi dans la musique, il serait probablement devenu un footballeur professionnel ! Ensuite parce qu’elle découvre que le problème est spécifique à l’équipe féminine, alors que l’équipe masculine dispose de moyens beaucoup plus conséquents.

Une injustice qui rend ce combat d’autant plus personnel pour Cedella Marley qui n’hésite pas à dénoncer une équipe « laissée de côté » par la fédération du pays (JFF). Une instance dirigeante qui accepte pourtant la présence de Marley, avec sa nomination au rôle d’ambassadrice des Reggae Girlz au mois de mars 2014.

 

Une chanson pour aider à lever des fonds

Cedella Marley investit alors de l’argent, de l’énergie, les crowdfunding se multiplient sur internet avec des vidéos mettant en scène les joueuses de l’équipe, et ainsi aider la sélection jamaïcaine à disputer dans de bonnes conditions les éliminatoires de la Coupe du Monde 2015. Sur internet, on peut retrouver des traces de ces initiatives avec notamment des ventes de tee-shirts, des voyages en Jamaïque pour rencontrer des membres éminents de la famille Marley, des maillots dédicacés par Usain Bolt...

Parmi les initiatives, l’idée d’une campagne appelée « Strike Hard », pour faire la promotion des Reggae Girlz au travers d’une émission de télévision. Un slogan que l’on retrouvant également sur les réseaux sociaux avec le #StrikeHard utilisé encore aujourd’hui par les fans des Reggae Girlz. Cela se traduira finalement par la production d’une chanson « Strike Hard » (Frapper fort) que Cedella Marley co-produit avec deux de ses frères toujours en 2014.

Damian et Stephen Marley, sont deux stars planétaires, et musiciens/chanteurs de reggae comme une bonne partie de la dynastie Marley. Cette chanson passée inaperçue à l’époque en dehors des frontières jamaïcaines a été l’un des témoignages de l’engagement de Cedella Marley. Son objectif, apporter un coup de pouce décisif en faveur des Reggae Girlz et leur donner une « véritable chance » de participer à un Mondial.

 

Retour à la case départ ?

Parvenue à se hisser en phase finale de la Coupe de la Concacaf (Gold Cup), la Jamaïque ne réussit pas en revanche à se qualifier pour la Coupe du Monde 2015 au Canada, barrée en phase de groupes par le Mexique et le Costa Rica de Shirley Cruz. Et en 2016, après que les Reggae Girlz aient joué leur dernier à l’automne 2015 (qualifications pour les Jeux Olympiques), l’équipe est à nouveau mise en sommeil, avant de reprendre son activité au printemps 2018 pour les éliminatoires du Mondial en France.

Mais le lien établi à cette occasion entre Cedella Marley et les Reggae Girlz s’est renforcé avec cette première tentative. Elle est restée l’un des principaux soutiens de l’équipe, même si elle joue un rôle plus discret, tout en restant la marraine de l’équipe.

Alors que le championnat jamaïcain a été un temps interrompu, c’est depuis les États-Unis que les meilleures joueuses du pays ont continué leur progression, comme Khadija "Bunny" Shaw venue étudier et jouer au football dans le championnat universitaire américain. Elles sont aussi nombreuses à être issues de la diaspora jamaïcaine.

 

L’apport de la diaspora jamaïcaine

En l’absence d’un véritable développement du football féminin en Jamaïque, c’est du côté du continent que la sélection trouve ses forces vives. Dans les 23 retenues pour cette Coupe du Monde 2019, elles sont une quinzaine à avoir grandi aux États-Unis ou au Canada, et évolue quasiment toutes à l’étranger, aux États-Unis, mais également en Europe, comme Allyson Swaby qui évolue à la Roma.

Du côté des moyens disponibles pour l’équipe jamaïcaine, d’autres acteurs ont apporté leur contribution pour permettre aux Reggae Girlz de réaliser leurs rêves, toujours par l’intermédiaire de Cedella Marley. Certaines anciennes joueuses ont également trouvé le moyen d’aider l’équipe nationale par d’autres moyens. C’est notamment le cas de Sherona Forrester, internationale jamaïcaine en 2014, et aujourd’hui assistante manager des Reggae Girlz, et présente en France pour le Mondial .

 

Un avenir en suspens

Pourtant, cette question financière reste un enjeu permanent. À l’approche du tournoi, le New York Times évoquait une somme de l’ordre de 400.000 dollars (près de 352.700 euros), qui manquerait aujourd’hui pour permettre à l’équipe jamaïcaine de couvrir ses dépenses, participer au Mondial dans de bonnes conditions mais aussi  commencer à préparer l'avenir.

Car c’est également le futur qui est en jeu, puisque cette présence au Mondial ne garantit pas un changement de politique de la part de la fédération jamaïcaine. Une crainte pour les joueuses qui espèrent profiter pleinement de l’exposition et de l’opportunité de jouer une Coupe du Monde. Une joie immense qui ne les empêche pas de se montrer vigilantes pour la suite, et assurer une présence durable des Reggae Girlz au plus haut niveau.  

 

Photo: Omar Vega / Getty Images

Hichem Djemai