Après avoir évoqué les écarts entre la France et l’Angleterre, Amandine Miquel se confie, dans cette troisième partie d’entretien, sur son propre parcours, semé d’embûches. De son arrivée à Leicester à son regard sur les conditions d’accès au coaching pour les femmes, l’entraîneure française ne cache rien. Entre manque de réseau, coût des diplômes et préjugés tenaces, elle dresse un constat sans détour sur les barrières structurelles qui freinent encore l’émergence de nouvelles coachs dans le football professionnel.

 

Première partie => [Interview exclu] Amandine Miquel (Leicester City) : "L’équipe de France féminine n’a pas encore franchi un vrai cap"

Deuxième partie => [Interview exclu] Amandine Miquel (Leicester City) : « L’Angleterre a pris une longueur d’avance sur la France »

 

Peu de reconnaissance, malgré les résultats

Élue coach de la saison 2023/24 par les lecteurs de Cœurs de Foot, Miquel n’a pourtant reçu aucune sollicitation des clubs du top 3 français.
« J’ai eu des propositions après mon départ de Reims, mais uniquement de clubs classés en dessous. »
Elle révèle également avoir été approchée par quelques sélections nationales, mais pas dans le haut du classement FIFA. Un projet intéressant aurait pu aboutir, mais ne s’est finalement pas concrétisé.
« J’ai passé les entretiens, les étapes… Ils ont choisi quelqu’un d’autre. Ce n’est pas grave, ça fait partie du jeu. »

 

Le mérite avant le réseau

Face aux recrutements parfois influencés par les réseaux ou les agents, Amandine Miquel revendique un parcours bâti sur ses seuls résultats.
« À Leicester, je ne connaissais personne. J’ai tout passé : entretiens, tests, étapes. Rien n’a été offert. »
Une manière de rappeler que le piston ne fait pas tout, même si elle reconnaît que, dans d’autres cas, les décisions peuvent être influencées par les relations plus que par les compétences.

 

Une voie semée d’embûches pour les femmes sans passé de joueuse

Devenir entraîneure professionnelle reste un véritable parcours du combattant pour les femmes, en particulier pour celles qui n’ont pas connu une grande carrière de joueuse. Amandine Miquel en témoigne :
« Pour les femmes qui n’ont pas eu une carrière en D1, c’est quasiment impossible d’atteindre un haut niveau. Il faut s'armer de courage et de patience, car ça va être long et difficile. Il y a encore beaucoup trop d’obstacles. »
Elle pointe du doigt l’importance de la visibilité acquise en tant que joueuse, souvent considérée comme un passeport indispensable pour accéder à des postes à responsabilités. Aujourd’hui, la majorité des coachs en poste sont d’anciennes internationales ou des figures reconnues du football féminin :
« Il y a un gros avantage pour celles qui ont été joueuses pro, car souvent, c’est leur seule voie de reconversion. Pour celles et ceux qui n’ont pas fait d’études à côté, les options sont limitées : entraîneur(e) ou directrice/directeur sportif. »

 

Des trajectoires atypiques encore marginales

Pourtant, certains parcours hors normes prouvent qu’il est possible de s’imposer autrement, même si le chemin reste étroit. Amandine Miquel en est un exemple :
« Même si je n’ai pas eu une grande carrière de joueuse, j’ai réussi à me faire une place. J’ai arrêté de jouer à 20 ans, commencé à coacher à 22. Ma carrière de joueuse est quasiment inexistante. Et pourtant, j’y suis arrivée. »
Elle observe une évolution positive, notamment grâce à une meilleure reconnaissance des anciennes joueuses :
« Il y a plus de possibilités de reconversion, donc une joueuse qui a joué régulièrement et qui a été visible en D1 peut réussir à en faire son métier. »
À l’image de Pierre Sage (ex-entraîneur de l’OL) ou Will Still (RC Lens) dans le football masculin, des profils venus d’horizons plus académiques ou atypiques peuvent aussi émerger, même si ces cas restent rares :
« Ce genre de parcours reste rare. Il y a un gros avantage donné à l’ancien joueur ou à l’ancienne joueuse, car au final, c’est souvent l’une de leurs seules voies de reconversion. Sans ces parcours, ils n’auraient pas beaucoup d’autres alternatives. »

 

Des formations trop chères et trop fermées

Parmi les freins les plus importants, elle cite sans hésiter le coût et l’accès aux formations proposées par la Fédération :
« Les diplômes sont très chers et difficiles à obtenir. Il y a peu de places, et les prérequis sont élevés. »
Résultat : beaucoup de femmes sont découragées avant même d’avoir pu se lancer.
« Si je n’étais pas aussi persévérante, j’aurais sûrement abandonné. »

 

Des talents gâchés ? Certainement.

Elle en est convaincue : de nombreux profils prometteurs n’ont pas pu éclore à cause de ces freins structurels.
« Il y a certainement des profils qui n’ont pas pu exploiter pleinement leur potentiel. L'idée qu'il faut avoir été un joueur/joueuse d'élite pour devenir un bon(ne) entraîneur(e) n'est pas forcément juste. »

Tout en reconnaissant que certaines anciennes joueuses comme Sonia Bompastor tirent bénéfice de leur parcours, elle affirme :

« C’est vrai que cela aide, comme dans le cas de Sonia Bompastor qui a une expérience de la Ligue des Champions, et cela peut être précieux. Mais je pense qu'il est tout à fait possible d'être un(e) bon(ne) entraîneur(e) sans avoir eu une carrière exceptionnelle de joueuse/joueur. Ce n'est pas incompatible. On peut aussi être un très bon coach sans avoir été une grande joueuse. »

 

Photo : Leicester City

Dounia MESLI