À la tête de Leicester City Women depuis le début de la saison, Amandine Miquel a intégré l’un des championnats les plus compétitifs du monde. Dans cette seconde partie d’entretien, la technicienne française dresse un état des lieux sans détour : entre la Women’s Super League et la Arkema Première League (anciennement D1 Arkema), le fossé se creuse. Professionnalisation, infrastructures, gouvernance… Elle revient sur les écarts structurels et les choix politiques qui dessinent aujourd’hui deux trajectoires bien différentes.

 

Première partie => [Interview exclu] Amandine Miquel (Leicester City) : "L’équipe de France féminine n’a pas encore franchi un vrai cap"

 

La Women’s Super League, un modèle complet

 

Pour Miquel, le constat est limpide :

« C’est l’un des championnats les plus complets au monde. »

Elle souligne le haut niveau athlétique, l’exposition médiatique croissante et la qualité des infrastructures, tout en nuançant :

« Peut-être un peu moins technique ou tactique, mais il surpasse les autres sur tous les autres aspects. »

La récente présence de trois clubs anglais en quarts de finale de Ligue des champions (Arsenal, Chelsea et Manchester City, ce dernier ayant été éliminé par les Blues de Sonia Bompastor, ndlr) en témoigne : l’Angleterre est devenue une place forte du football féminin européen.

 

Des ambitions européennes qui prennent forme

 

La coach de Leicester voit dans la progression des clubs anglais une tendance durable :

« Ça va devenir une constante. Chaque saison, les clubs anglais seront parmi les favoris en Europe. »

Un phénomène comparable, selon elle, au triomphe des Lionesses à l’Euro 2022 : preuve qu’un écosystème structuré peut porter ses fruits.

 

Des infrastructures à la hauteur du projet

 

À l’image des stades, du staff élargi ou encore des conditions d'entraînementl’Angleterre a investi massivement. La différence se voit aussi au quotidien, dans l’environnement de travail :

« Ici, on joue dans de grands stades, rarement en dessous de 5 000 places. Et les staffs, c’est vingt personnes. En France, à part Lyon et Paris, on est loin de ce niveau. »

Pour elle, l’Angleterre a fait le choix d’un investissement stratégique fort et assumé.

 

En France, un système trop prudent

 

La France, à l’inverse, reste dans une posture d’incitation, qu’elle juge trop timorée :

« On encourage, mais on n’oblige pas. C’est le problème. »
Elle doute qu’un changement significatif ait lieu sans obligations claires imposées aux clubs :

« Vu les enjeux globaux du football en France, je ne suis pas optimiste quant à l’idée que beaucoup d'équipes développent leurs sections féminines dans un avenir proche. »

Et d’ajouter :

« Oui, ils ont fait des choix difficiles ici [en Angleterre], mais nécessaires. Le développement du football féminin passera par ce type de mesures. En France, on privilégie beaucoup l'incitation, mais on n'oblige rien. Les clubs masculins ont déjà leurs propres difficultés, et l'incitation seule n'est pas suffisante. »

 

Pour remplir les stades, il faut créer l’émotion

 

Au-delà du jeu, c’est l’expérience proposée aux spectateurs qui peut faire la différence, pour Amandine Miquel :

« Les gens veulent du suspense, du rythme, des émotions. Le marketing anglais l’a bien compris, ils font des études de marché pour adapter leur produit. Il faut que les gens aient envie de venir. »

Elle cite leur récent match contre Brighton comme exemple :

« Ce n'était pas facile, surtout après qu'ils reviennent à 3-2. Tout le monde m'a dit que ça devait être horrible, mais en y réfléchissant, je me dis que c'était en fait plutôt positif. C’est ce que les gens veulent : à 3-0, le match devient ennuyeux, mais à 3-2, les dix dernières minutes étaient bien plus excitantes. »

Et de conclure avec un sourire :

« Ce n’est pas forcément idéal pour nous, car on a été assez stressés, mais pour le public, c’était très bien. »

Elle insiste aussi sur le rôle clé des ressources humaines et du recrutement ciblé :

« Il faut rendre le championnat encore plus attractif, notamment en remplissant les stades. Le pouvoir viendra de là. Une fois que nous serons capables de remplir des stades à la hauteur de ceux des hommes, cela générera des revenus grâce aux sponsors, à la publicité, aux droits télévisés… Avoir un public fidèle et engagé nous rendra plus forts. Il faut attirer le bon public, pas nécessairement celui du football masculin. »

 

Gouvernance et marketing : le retard français

 

Côté marketing, l’écart est flagrant :

« Ils (la FFF) nous consultent, mais se heurtent ensuite aux clubs, souvent gérés par leur section masculine, qui restent réticents à investir sans garantie de rentabilité. »

Elle insiste sur l’importance d’une organisation dédiée, indépendante :

« Les clubs qui attirent le plus de spectateurs ont une stratégie claire : des équipes dédiées exclusivement au football féminin pour les médias, le marketing et la billetterie. En France, les mêmes ressources gèrent les deux sections. Un commercial, sans hausse de salaire, favorisera naturellement le foot masculin, plus rentable. »

À l’inverse, en Angleterre, les moyens humains sont pensés dès le départ pour répondre aux enjeux du foot féminin :

« Investir dans ces ressources humaines est donc crucial. »

 

Le PSG, un géant encore en construction

 


Interrogée sur la situation du Paris Saint-Germain, Amandine Miquel adopte un ton mesuré, mais lucide. Pour elle, le problème n’est pas d’ordre financier :

« Ce n’est pas un problème de moyens. Les ressources sont là. »
Le cœur du sujet réside ailleurs, dans la cohérence et la hiérarchie des priorités au sein du club :

« Le vrai sujet, c’est la place réelle qu’occupe la section féminine dans le projet global. Est-elle considérée comme un pilier à développer, ou comme une vitrine parmi d’autres ? »

Elle observe que malgré des investissements notables, le PSG peine encore à atteindre une stabilité et une dynamique à la hauteur de ses ambitions. En cause, selon elle : une structuration à repenser, avec une vision à long terme dédiée au football féminin.

« Il ne suffit pas d’avoir un budget. Il faut un cap clair, des objectifs précis, des équipes dédiées, et une gouvernance qui donne à la section féminine les moyens de s’émanciper du giron masculin tout en s’inscrivant dans l’identité du club. »

Miquel évoque aussi la nécessité de continuité dans le management sportif, un élément souvent négligé :

« Changer d’entraîneur tous les deux ans, réajuster en permanence les objectifs… ça empêche la construction d’un vrai projet sportif pérenne. »

Et si le club de la capitale venait un jour à la contacter ? Elle répond sans détour :

« Je suis toujours ouverte à discuter d’un projet. Mais il faut que ce soit cohérent, clair et ambitieux. Je ne suis pas dans une logique de prestige ou de nom. Ce qui compte, c’est la vision, les moyens réels mis à disposition, et la liberté d’action pour construire quelque chose de solide. »

 

Interview réalisée le 28 mars 2025

 

Photo : Leicester City

Dounia MESLI