Alors que débutent les qualifications de la Coupe du Monde 2023 en Australie et la Nouvelle-Zélande, une équipe a d’ores et déjà été placée hors-course. Avec le retour au pouvoir des Talibans, les joueuses de l’équipe nationale afghane sont désormais confrontées à l’urgence de fuir le pays, alors que la sélection a été, de fait, dissoute par les nouvelles autorités à Kaboul...

 

Cette semaine marque le lancement des éliminatoires de la Coupe du Monde 2023. Dans la zone Asie, les qualifications se font de manière indirecte, puisqu’il faut participer à la Coupe d’Asie des Nations, tournoi continental organisé en 2022 en Inde pour pouvoir ensuite se qualifier pour le Mondial 2023 en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Certaines équipes comme le Japon, la Chine et l'Australie sont déjà qualifiées pour cette Coupe d’Asie 2022, d’autres se lancent actuellement dans la phase de qualification. L’Afghanistan devait faire partie des nations engagées, versée dans le groupe B, aux côtés des Maldives, du Vietnam et du Tadjikistan voisin, chargé d’accueillir le mini-tournoi dans sa capitale Douchanbé.

Cette participation constituait une première pour la sélection féminine afghane qui jusqu’à aujourd’hui n’avait jamais participé à une compétition continentale ou ses qualifications.

 

Des sportives sommées de s’éclipser

Le tirage au sort de ces éliminatoires de la Coupe d’Asie avait eu lieu le 24 juin dernier, soit avant la prise de pouvoir des Talibans, entrés dans Kaboul le 15 août. Affirmant vouloir appliquer la Charia (loi islamique), les Talibans ont notamment cherché à effacer la présence visible des femmes dans l’espace public, mais également dans les médias. Il faut ajouter également les menaces et violences qui se seraient multipliées ces dernières semaines, comme le rapportait la capitaine de la sélection afghane, Shabnam Mobarez, alors en contact avec ses coéquipières depuis les États-Unis.

Dans le sport, les femmes se voient déjà interdire la pratique de toutes les activités dans lesquelles les sportives pourraient se retrouver en situation « d’exposer […] leur visage et leur corps », et ainsi d’exiger que les corps des sportives soient « couverts » en toute circonstance. Cité par la chaîne australienne SBS, un responsable taliban estimait que « l’Islam et l’Émirat Islamique [le nom du régime instauré par les Talibans] n’autorise pas les femmes […] à pratiquer des sports dans lesquels elles se retrouvent exposées »

 

Bouées de sauvetage

Cette nouvelle doctrine instaurée par les Talibans interdit de fait aux femmes de pratiquer des sports populaires dans le pays tels que le cricket et le football. Le 24 août dernier, alors que s’ouvraient les Jeux Paralympiques de Tokyo, on apprenait que 77 personnes avaient été évacuées en avion depuis l’aéroport de Kaboul vers l’Australie. Parmi elles, un grand nombre d’internationales afghanes et des membres de leurs familles respectives.

L’opération avait été coordonnée depuis l’étranger, avec notamment la participation d’une ancienne sélectionneuse de l’équipe afghane, Kelly Lindsey, et son emblématique ancienne capitaine Khalida Popal, aujourd’hui réfugiée au Danemark. L’histoire personnelle de Khalida Popal permet notamment de montrer que « la mentalité des Talibans », pour reprendre son expression, n’avait pas disparu ces vingt dernières années, même lorsqu’ils étaient éloignés du pouvoir. Sans oublier les scandales liés aux violences sexuelles commises par des responsables de la fédération sur des joueuses afghanes.

Pourtant, le retour au pouvoir des Talibans, vingt ans après, marque un point de bascule pour beaucoup d’athlètes féminines qui ont eu l’occasion de pratiquer leur sport à visage découvert ces dernières années. Parmi les conséquences immédiates, le retrait de la sélection afghane de la course à la Coupe d’Asie, qui entérine de fait la dissolution de l’équipe féminine afghane.

 

D’autres opérations d’évacuation à venir ?

Dans l’immédiat, cette absence semble pourtant dérisoire, un constat que fait également Kelly Lindsey, considérant que l’avenir de la sélection afghane « n’était plus une question dans l’immédiat », au vu des enjeux humains qui se nouent autour la situation actuelle. Les objectifs sportifs étaient d’ailleurs limités, avec des chances de qualification qui semblaient extrêmement minces, avant même le retour au pouvoir des Talibans.

Aujourd’hui, on retrouve des joueuses afghanes en fuite, en Australie, en France, mais aussi au Pakistan. Le 15 septembre, Khalida Popal confirmait, via Twitter, que des dizaines de joueuses issues d’équipes afghanes de jeunes et des membres de leur famille avaient été évacués vers le Pakistan voisin.

Selon la BBC, 32 joueuses ont bénéficié de cette initiative appuyée par l’ONG Football For Peace, avec au total 115 personnes hébergées par la fédération pakistanaise de football avant de pouvoir faire une demande d’asile vers des pays tiers.

 

Retours en arrière

Interviewée par ESPN, Khalida Popal avait comparé l’évacuation du 24 août à une « finale » qui se gagnait en parvenant à atteindre « la porte de l’aéroport » de Kaboul, comme pour dédramatiser et faire face à une situation dans laquelle des vies sont immédiatement en jeu. Dès l’arrivée des Talibans au pouvoir le 15 août dernier, elle avait incité les joueuses à brûler leurs maillots, « supprimer leurs comptes et chaînes sur les réseaux sociaux », les photos d’elles postées en ligne, avant de chercher à « s’échapper » et à « se cacher ».

Lancée en 2007, la sélection afghane avait été utilisée depuis sa création comme un étendard de l’Afghanistan « post-taliban », mais aussi pour participer à défendre la condition des femmes dans le pays. Pour Shabnam Mobarez, le football avait notamment été mis à contribution pour donner « une nouvelle voix aux femmes [en Afghanistan] et les pousser à se battre pour leurs droits, mais aujourd’hui il semble que le football […] peut les mettre en danger et potentiellement les tuer, ce qui me brise le cœur ».

Un contrecoup que la sélection féminine afghane et plus généralement les sportives subissent aujourd’hui avec le retour des Talibans. Cela se traduit notamment par ce choix de l’exil opéré par celles qui veulent continuer à pratiquer leur sport mais aussi à ne pas vivre dans la crainte de représailles de la part du nouveau régime.

 

Photos: Haley Carter / Twitter

Hichem Djemai