C'est ce que l'on appelle un retour de flamme. Après avoir joué le chaud et le froid face aux joueuses de l'équipe nationale des États-Unis, le président de la fédération (USSF) Carlos Cordeiro a été poussé à la démission. Ironie de l'histoire, il est désormais remplacé par Cindy Parlow Cone, ancienne championne du monde et double-médaillée d'or olympique avec la sélection US.
Alors que l'équipe des États-Unis disputait et remportait la 5e édition de la SheBelieves Cup, une tempête couvait en interne du football étasunien. Alors que le procès entre les internationales américaines et leur fédération se profile à partir du 5 mai, les deux parties ont transmis leurs argumentaires (legal filings) en défense de leurs positions respectives. Des documents rendus publics en début de semaine.
Des arguments « d'hommes des cavernes »
Des textes censés expliquer et argumenter leurs demandes auprès des juges. Du côté des joueuses, pourquoi elles estiment être discriminées par leur fédération, et du côté de l'USSF pourquoi ces accusations seraient infondées. Les arguments proposés par les avocats de la fédération ont fait l'effet d'une bombe. Parmi les passages les plus commentés, celui qui affirme que « le métier de joueur de l'équipe nationale masculine (…) requiert un plus haut niveau de compétence (skill) basée sur la vitesse et sur la force par rapport au métier de joueuse de l'équipe nationale féminine ».
Au rang des extraits savoureux, celui qui affirme que les joueurs de l'équipe masculine « ont un plus de responsabilités » du fait de sommes en jeu et d'audiences plus importantes dans le football masculin. On peut également citer l'argument de « conditions de travail » plus difficiles en raison de « l'hostilité des supporters » dans certains stades (« en particulier au Mexique et en Amérique Centrale »), ce à quoi les joueuses sont beaucoup moins confrontées.
Le florilège s'étale sur une vingtaine de pages, et a reçu des réponses cinglantes comme celle de Molly Levinson, chargée de représenter les joueuses de l'équipe nationale, et qui a parlé d'arguments « d'hommes des cavernes [sortis] du Paléolithique ».
Dans la pratique, les avocats de la fédération justifiaient des échelles différentes de rémunération entre les sports féminins et masculins. Ils expliquent notamment que tant que des athlètes ou des équipes féminines ne pourraient pas remporter des compétitions face à des hommes ou des équipes masculines (réputées avec « une plus forte adversité »), elles ne pourraient pas prétendre au même niveau de rémunération.
Carlos Cordeiro pris à son propre piège
Un document dévastateur, d'autant que Carlos Cordeiro, le président de la fédération des États-Unis, s'est pris les pieds dans les tapis. En pleine SheBelieves Cup, et alors que l'USSF se retrouvait sous le feu des critiques, Cordeiro expliquait dans un communiqué (daté du 7 mars) que la fédération avait fait un certain nombre de propositions aux joueuses de l'équipe nationale, parmi lesquelles de payer « des compensations identiques aux joueuses et joueurs de l'équipe nationale pour tous les matches qui dépendent [de l'USSF] ».
Le discours est alors inaudible et contradictoire avec la défense de ses propres avocats. La machine s'est alors emballée, avec notamment des sponsors, parmi lesquels Coca-Cola, Visa ou Deloitte, qui ont cette semaine, ouvertement critiqué la défense de la fédération. L'USSF lâchée de toute part, et Carlos Cordeiro pris au piège d'une stratégie qui consistait à faire feu de tous bois pour tenter de décrédibiliser la position des joueuses.
Du côté des premières concernées, la troisième journée de la SheBelieves Cup (jouée le 11 mars) a été l'occasion d'une action symbolique lors de l'échauffement d'avant-match face au Japon et la cérémonie des hymnes nationaux. Les joueuses de l'équipe américaine ont alors retourné leur survêtement pour masquer l'écusson de la fédération, et marquer ainsi leur désaccord avec l'USSF, qui est également l'employeur de la plupart des internationales étasuniennes.
Dans un nouveau courrier daté du 12 mars, Carlos Cordeiro annonce finalement sa démission. Dans son texte, il reconnaît que l'argumentaire publié par les avocats de la fédération avait causé « outrage et douleur », notamment pour « les extraordinaires joueuses de l'équipe nationale, qui méritent mieux ». Il explique également « ne pas avoir relu intégralement l'argumentaire (filing) avant qu'il ne soit déposé », et que le document ne reflète pas « les valeurs de la fédération ».
Une ancienne championne du monde à la tête de la fédération
La thèse de la négligence semble a posteriori toute aussi dévastatrice pour Carlos Cordeiro et l'USSF à moins de deux mois du procès face aux joueuses de l'équipe nationale. Dans l'immédiat, le départ de Cordeiro a été suivie de la nomination de Cindy Parlow Cone au poste de présidente de la fédération des États-Unis.
Jusqu'ici vice-présidente de l'USSF, Cindy Parlow Cone est aussi double-médaillée d'or olympique (1996 et 2004) et membre de la génération des 99ers, l'équipe vainqueure de la Coupe du Monde 1999. Très proche de Mia Hamm, figure tutélaire du soccer américain, elle avait également coaché les Portland Thorns en 2013, et remporté cette année-là, le premier titre de l'histoire de la NWSL.
Devenue vice-présidente de la fédération en 2019, elle a notamment participé à organiser la succession de Jill Ellis à la tête de l'équipe nationale féminine. Elle devient désormais la première femme présidente de l'USSF, ce qui semble constituer en soi une première victoire morale pour les joueuses de l'équipe nationale.
Reste désormais à savoir ce que cette nomination peut avoir comme conséquence pour la suite. Cela interroge notamment sur la volonté des deux parties de parvenir à un éventuel accord avant le 5 mai, et le début d'un procès désormais redouté de part et d'autre.
Photo: AP / Richard Drew
Hichem Djemai