Vendredi dernier, on apprenait le dépôt d'une plainte pour discrimination lancée par 28 internationales américaines contre la fédération de football des États-Unis. Un nouvel épisode dans le bras de fer qui oppose les championnes du Monde en titre avec leur fédération, pour obtenir un traitement égal entre les sélections féminine et masculine dans le pays.

 

C'est une action qui dès son annonce portait en elle une résonance symbolique forte. Le 8 mars dernier, journée internationale pour le droit des Femmes, on apprenait le dépôt d'une plainte de 28 internationales américaines contre la fédération des États-Unis (USSF) pour tenter d'obtenir une égalité effective entre les joueuses et les joueurs de l'équipe nationale des États-Unis, et mettre fin à des formes institutionnalisées de discrimination basées sur le genre.

 

Une démarche lancée après la Coupe du Monde 2015

Cette action en justice s'inscrit dans le prolongement des initiatives déjà initiées par les joueuses de l'équipe des États-Unis ces dernières années. En 2016, cette question de l'égalité de traitement entre les sélections féminine et masculine avait déjà été exposée publiquement par les joueuses de l'équipe nationale. Cette démarche avait d'ailleurs reçu un accueil favorable auprès du public américain, alors que l'équipe des États-Unis avaient remporté l'année précédente un troisième titre de championne du Monde.

A l'époque, deux démarches parallèles avaient été engagées, la première consistait à des négociations directement avec la fédération des États-Unis de football, menées par l'USWNTPA, l'association qui défend les intérêts des joueuses de l'équipe nationale et au sein de laquelle elles choisissent leurs représentantes, avec par exemple Becky Sauerbrunn, Samantha Mewis et Kelley O'Hara élues pour l'année 2019.

En 2017, ces négociations avaient permis d'aboutir à un accord collectif valable jusqu'en 2021, soit jusqu'au terme du cycle actuel Coupe du Monde – Jeux Olympiques (2019-2020). Cet accord a permis de régler certains aspects comme par exemple de rétablir l'égalité femme-homme sur les indemnités journalières versées au moment des rassemblements en équipe nationale. Il inclut également une clause de « no-strike » qui interdit aux joueuses de faire grève, comme elles avaient menacé de le faire en 2016, provoquant une action en justice de la fédération.

 

Les tribunaux comme dernier recours

D'un autre côté plusieurs joueuses, Alex Morgan, Megan Rapinoe, Carli Lloyd et Becky Sauerbrunn avaient déposé une plainte auprès de l'EEOC (Commission pour l'égalité des chances au travail) au mois de mars 2016, une instance fédérale chargée d'enquêter sur les cas de discrimination au travail, mais dont les avis ne sont pas nécessairement contraignants.

A l'époque, Hope Solo, écartée de l'équipe nationale depuis son coup de sang aux JO de Rio, avait également participé à ce dépôt de plainte devant l'EEOC. Depuis, elle a lancé de son côté plusieurs procédures, avec plus ou moins de succès, et pourrait rejoindre désormais cette « class action » puisque la plainte vise à inclure l'ensemble des joueuses sélectionnées depuis février 2015, une période où Hope Solo gardait avec succès les buts de la sélection américaine.

Le 5 février dernier, l'EEOC a communiqué aux quatre joueuses concernées, une autorisation à mener une action en justice « right to sue », alors que la saisie de l'EEOC n'avait débouché sur aucune décision, ni avancée significative depuis 2016, une autorisation valable pour une durée de 90 jours. C'est ici un moyen pour les joueuses concernées de montrer qu'elles ont épuisé tous les recours possibles au niveau administratif avant de lancer une action en justice contre l'USSF qui est également leur employeur.

Autrement dit, le « choix » du 8 mars 2019, n'est pas un simple coup d'éclat, il correspond à l'issue d'un processus initié depuis des années et qui aboutit aujourd'hui à un conflit ouvert entre les numéros unes mondiales et leur fédération.

 

Un traitement inégal malgré des résultats plus favorables

Dans le contenu de la plainte, on retrouve une série d'arguments déjà étalés en 2016 par les joueuses américaines lors de leur prise de parole publique. Parmi eux, la réussite sportive de l'équipe, multi-titrée en Coupe du Monde et aux Jeux Olympiques, un record absolu dans le football féminin, mais également sans comparaison avec l'équipe américaine masculine.

Il y a également la capacité à générer de l'audience, et notamment un record absolu outre-Atlantique, hommes et femmes confondus, établi lors de la finale de la Coupe du Monde 2015, avec 25,4 millions de téléspectateurs pour assister à la victoire des États-Unis face au Japon. C'est aussi la capacité de l'équipe nationale féminine à générer plus de revenus que l'équipe masculine comme en 2016 après la victoire au Mondial, ou encore le fait que les joueuses sont moins bien payées que les garçons alors qu'elles sont plus souvent sollicitées en équipe nationale.

La plainte explore l'ensemble des aspects qui selon les joueuses amènent à parler de discrimination institutionnalisée. Cela concerne aussi bien les revenus distribués par la fédération aux joueuses et aux joueurs, les conditions de transport, de jeu, d'entraînement, mais également les différences dans la communication autour des équipes féminine et masculine.

Plus surprenant, c'est également l'exigence que le prix d'entrée pour les matches des deux sélections soient les mêmes, de manière à assurer les mêmes niveaux de revenus liés à la billetterie lors des matches joués à domicile.

 

Les joueuses face à leur employeur

La situation des internationales américaines est particulière dans le sens où c'est la fédération qui paye leurs salaires, à l'inverse des garçons qui reçoivent la majorité de leurs revenus du club dans lequel ils évoluent. Une situation qui existe sous d'autres formes en Angleterre avec les « central contract players ». Mais ce n'est pas sur cette partie de leurs revenus que les joueuses américaines estiment qu'il y a une discrimination.

Cela concerne notamment les primes/indemnités pour la participations aux matches amicaux en équipe nationale, les primes liées à la participation et au résultat en Coupe du Monde et toutes les primes et compensations financières qui concernent l'apparition pour des événements liés au sponsoring, ou encore les revenus liés à la billetterie.

Sur l'ensemble de ces éléments, les joueuses américaines pointent des discriminations. Par exemple, le fait que pour les de matches amicaux, les indemnités de base sont plus faibles pour les femmes que les hommes (3.600 contre 5.000 dollars), et les joueuses ne perçoivent de primes uniquement lorsqu'elles gagnent leurs matches (1.350 dollars), alors que les garçons perçoivent des primes (variables) quelle que soit l'issue de la rencontre, et qui peuvent grimper jusqu'à plus de 8.166 dollars par match.

 

Les « réalités du marché »

Ces arguments avaient déjà été déployés en 2016 pour appuyer la démarche des internationales américaines et elles ont aujourd'hui le soutien des représentants de l'équipe masculine. Dans un communiqué, l'association des joueurs de l'équipe nationale a apporté « son soutien aux efforts des joueuses de l'équipe nationale féminine pour parvenir à l'égalité salariale (equal pay) ».

L'association s'est également dite engagée pour « parvenir à une répartition égale des moyens attribués pour les équipes masculines et féminines » dans le cadre des négociations en cours pour son nouvel accord collectif avec la fédération américaine.

Pour les joueuses à l'initiative de cette plainte, il s'agit également de pointer la responsabilité de la fédération américaine, et ne pas uniquement rejeter la faute sur les disparités des sommes brassés dans les footballs masculin et féminin, disparités qui se retrouvent à travers le monde et dans la distribution des revenus opérée par la FIFA au moment des Coupes du Monde.

Dans la plainte, il est notamment fait mentions de solutions proposées à l'USSF pour tenter d'avancer. C'est par exemple celle de lier une partie des sommes versées aux joueuses aux revenus générés par l'équipe nationale féminine. Une forme « d'intéressement » qui aurait été rejetée par la fédération. Une manière de pointer l'USSF comme source de blocage, plutôt que de rechercher activement des solutions pour surmonter les disparités existantes.

 

Une Coupe du Monde sous tension ?

Avec cette plainte déposée, se pose la question de la suite sur le plan judiciaire et les incidences sur la sélection de Jill Ellis. Dans l'immédiat, l'USSF n'a pas communiqué sur le sujet, et la question du Mondial à venir est forcément au cœur des préoccupations, d'autant que le résultat des États-Unis pourrait avoir une incidence sur l'issue de ce conflit.

Pourtant, personne ne semble s'attendre à une décision judiciaire d'ici au mois de juin, et il est possible que cette affaire ne trouve pas d'issue non plus avant les Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. L'incertitude reste également entière sur l'issue de cette plainte qui fait figure de saut dans l'inconnu, et pour laquelle une décision favorable aux joueuses semble encore loin d'être acquise.

Sur un plan humain, difficile de savoir quel sera l'effet sur l'équipe en quête de rachat après être passée à côté de son tournoi olympique en 2016. Reste que l'ensemble des « allocated players » pour l'année 2019, les 22 joueuses dont le salaire est pris en charge par la fédération, sont signataires de la plainte déposée contre la fédération des États-Unis, signe dans l'immédiat de l'unité des internationales américaines dans cette démarche.

 

Photo: Getty Images

Hichem Djemai