Ce week-end, peu de matches devraient être maintenus en Primera Iberdrola, la première division espagnole. En cause, une grève des joueuses qui exigent la mise en place d'une convention collective. Ce texte participerait à établir un statut de la joueuse professionnelle en Espagne, ce qui n'existe pas encore à l'heure actuelle.

 

Cette grève intervient au terme d'un long processus de négociations entamé en octobre 2018, avec les premiers échanges officiels entre des représentants des clubs et des joueuses, et des représentants du Conseil Supérieur du Sport (CSD), organe lié au gouvernement espagnol. Des rounds de négociations qui n'ont abouti finalement à aucun accord, malgré les espoirs suscités à l'époque par ces discussions, et la perspective d'une professionnalisation rapide de la discipline.

 

Une grève préparée depuis plusieurs semaines

Les négociations avaient été rompues le 25 juillet dernier à la suite d'une ultime réunion, qui actait l'impossibilité d'un accord avant le début de la saison. Le 22 octobre, le syndicat AFE (Association des Footballeurs Espagnols, équivalent de l'UNFP en France) avait organisé une réunion, à l'issue de laquelle, les joueuses présentes avaient voté le principe de la grève. 93 % des 188 joueuses participantes à la réunion ont voté favorablement à ce mode d'action pour obtenir la signature de cette convention collective.

Cet appel à la grève a participé à relancer les négociations au sujet de la convention collective. Des échanges qui ont impliqués les clubs, les joueuses, mais également la fédération, la Direction Générale du Travail (Ministère du Travail), le groupe Mediapro, qui diffuse une partie des matches de la Primera Iberdrola.

Cette intense séquence de négociations n'a abouti à aucun accord, laissant donc la porte ouverte à une grève qui débute ce samedi, à l'occasion de la 9e journée de championnat. En cas de blocage, elle pourrait également se poursuivre la semaine prochaine à l'occasion de la 10e journée.

 

L'exigence d'un socle minimum

Un bras de fer qui intervient alors que l'Espagne fait partie des pays où le football féminin semble avoir particulièrement progressé en Europe. Les équipes de jeunes espagnoles font partie des meilleures du monde, et les clubs à l'instar du FC Barcelone, s'invitent désormais dans les derniers tours de Ligue des Championnes, supplantant notamment les clubs nordiques (Suède et Danemark notamment).

Une évolution rapide qui amène en partie les joueuses à réclamer la mise en place d'une convention collective, qui serve de socle et de protection juridique pour des joueuses dont l'activité s'apparente de plus en plus à celle de footballeuses professionnelles même pour celles qui n'en ont pas formellement le statut.

Du côté des joueuses, les revendications portent sur différents aspects. Celui qui a été mis le plus souvent en avant ces dernières semaines concerne le niveau de revenus, avec un salaire minimum qui serait établi à 16.000 euros annuels. La condition sine qua non, serait également la garantie que les joueuses disposent de contrats au minimum de 3/4 temps (75%) et donc de revenus qui ne peuvent descendre au-dessous des 12.000 euros annuels.

 

Géométries variables

C'est en réalité ce deuxième aspect qui constitue le principal point d'achoppement avec l'ACFF (Association des Clubs de Football Féminin) qui représente notamment 13 des 16 clubs de Primera Iberdrola (à l'exception de l'Athletic Bilbao, du FC Barcelone et du CD Tacon).

L'ACFF estime que cette obligation d'employer les joueuses sur une base minimale de 3/4 temps (75%), et non de mi-temps (50%) représenterait une hausse globale insoutenable (de l'ordre de 33 %, selon l'ACFF) pour les clubs qui disposent de moyens financiers limités. En effet, une joueuse à mi-temps (minimum souhaité par l'ACFF) percevrait une rémunération minimale de 8.000 euros.

Mais au-delà des aspects financiers, la gardienne de l'Athletic Bilbao Ainhoa Tirapu avait insisté sur le fait que, selon elle, les joueuses sont déjà des footballeuses « 24h sur 24h » entre les entraînements, les déplacements pour les matches (qui dépasseraient à eux seuls les 20h hebdomadaires), mais également adapter en permanence son hygiène de vie (alimentation, repos).

 

Des professionnelles « comme les autres »

Fin octobre, le président de l'ACFF, Ruben Alcaine (également président du club de Saragosse qui évolue en deuxième division), avait estimé que la majorité des joueuses étaient déjà dans une situation correspondant aux revendications des syndicats (AFE et Futbolistas ON), évoquant le chiffre de 75 % pour les joueuses issues des 13 clubs de Primera Iberdrola affiliés à l'ACFF.

Les garanties contractuelles exigées par les joueuses incluent par exemple une meilleure couverture en cas de blessure mais aussi pour les joueuses qui souhaitent avoir des enfants au cours de leur carrière. Des aspects récapitulés dans une vidéo diffusée par l'AFE, où plusieurs joueuses prennent tour à la parole pour expliquer les raisons de la grève, revendiquant un statut de « joueuse professionnelle » et la nécessité de voir « leurs droits reconnus comme dans les autres professions ».

Dans la confrontation qui s'amorce désormais, un élément pourrait avoir son importance dans l'éventuelle résolution de ce conflit. En effet, les négociations sur la convention collective, ont en partie été partiellement parasitées par un autre bras de fer, celui qui concerne les droits TV de la Primera Iberdrola. Un conflit entre la fédération (RFEF) d'un côté, le groupe Mediapro et l'ACFF de l'autre.

 

Les droits TV, problème et (potentielle) solution à la fois

Les deux ''camps'' ont d'ailleurs fait des propositions en vue d'une sortie de crise sur la question de la convention collective. Du côté de la RFEF, Luis Rubiales a proposé que la fédération espagnole abonde un fond de garantie salariale censé permettre aux clubs de répondre aux revendications des joueuses, mais accueilli fraîchement aussi bien par l'ACFF que l'AFE.

Une proposition qui répondait à celle formulée par Mediapro et l'ACFF, et qui incluait un versement d'1,5 millions d'euros aux clubs par le groupe de télévision, en l'échange de la garantie de pouvoir diffuser deux matches par journée de championnat. Cette proposition vise également à permettre aux clubs de Primera Iberdrola d'accéder au Programme Élite, mis en place par la fédération, avec 500.000 euros versés aux clubs qui y participent.

 

=> Espagne / Primera Iberdrola : Un début de saison sur fond de bras de fer pour les droits TV

 

Pour le moment, seuls les clubs qui n'ont pas signé l'accord avec Mediapro sur les droits TV peuvent avoir accès aux fonds du programme Élite. La mise en place de ce programme avait permis à la RFEF de convaincre le club du Madrid CFF de se détourner de Mediapro. À l'inverse le FC Séville vient de signer un accord avec le groupe télévisuel pour la diffusion de ses matches, après s'être initialement tenu à l'écart de l'accord signé avec l'ACFF.

 

Un mode d'action efficace ?

Pour beaucoup d'observateurs en Espagne, ce différent sur les droits TV semble être l'une des clés pour résoudre la question de la convention collective. Lasses d'attendre, les joueuses ont donc décidé de forcer leur destin avec cette grève qui devrait être largement suivie, même si des joueuses ont également exprimé leur volonté de jouer ce week-end malgré leur soutien aux revendications exprimées.

Les prochains jours seront l'occasion d'en mesurer les effets, et probablement d'interpeller et d'interroger sur l'évolution du football féminin au-delà de la situation spécifique du championnat espagnol.

 

Photo: Asociación de Futbolistas Españoles (AFE)

Hichem Djemai